Destination : 175 , Cher atelier


lettre à la bonne dame

Lettre à la bonne dame



Ma bonne dame, on ne te rencontre pas facilement.

Tu n’es pas une Marie-couche-toi-là des sentiments, du genre « tu me veux me voilà ». Tu ne te livres pas au premier assaut du premier soudard venu qui, t’ayant violée, te croirait conquise, Colomb de pacotille bouffi de vantardise.

On ne te rencontre pas facilement, non.

La bonne dame est une vieille dame, qui demande patience et ménagement pour se donner.



Tu es là pourtant, depuis fort longtemps, incognita, si discrète ! On ignorait ton existence.

Devant nos juvéniles soubresauts tu restais muette, dubitative…

Et puis les limons des épreuves ont envasé l’âme, embourbée d’amertume et de désillusion, et l’on s’est cru fini, enseveli à jamais dans une éternité d’ennui…

Et pourtant te voici, qui souris, là : comment ne pas te voir ?



Tu es une bonne fée, qui réveille les cœurs et décille les yeux. Dans chaque aube renouvelée tu nous fais voir un petit miracle ; tu nous révèles mille merveilles dans notre petit jardin, dût le bonhomme Pascal en crever de dépit : aveugle divertissement ? Point. Montaigne te dirait Sapience, qui est à la fois droit jugement et juste dégustation de l’existence. Moi je te nomme la bonne dame.



Oh pour te connaître il aura fallu d’abord déposer les armes, délacer toutes les cuirasses, se déshabiller de tous les uniformes, de tous les vêtements d’emprunt, de tous les rôles mal joués, décoller toutes les étiquettes, sortir de toutes les cases, de toutes les catégories, cesser de préjuger, de présupposer, de prévisionner, ne plus vouloir paraître. Se défaire, pour être, tout simplement. Etre content d’être.

-« Ce fut donc un parcours initiatique ? » me demandera-t-on

-« Si vous voulez. Laissez là vos mots en tique, vos tics techniques. » Répondrai-je.

Pour te rencontrer il fallait être, et voilà tout.



-« Oui mais pour cela il faut du temps. Et le temps presse ! » Objectera quelque sot.

-« Le temps presse ? Prenez-le donc, ce temps si haletant ! Il nous rapproche de la fin ? Raison de plus pour en goûter l’arôme : et quel bouquet ! Une gorgée de silence à l’ombre de la pergola, le friselis de l’eau dans le bassin tout proche qui frissonne de fraîcheur, un bruissement d’ailes dans la brise du soir, et la tendresse de l’aimé…

Tout cela ne vaut-il pas que l’on s’attarde ?

D’ailleurs, tenez, il faut que je vous quitte : la bonne dame m’attend, je lui faisais une lettre…

Jose