Destination : 207 , Au sud la frontière, à l'ouest de nulle part
Effacement de mémoire
A la frontière entre l'ombre et la lumière se tient une chaise de jardin.
A la frontière entre le rêve et la réalité, elle voit quelque chose de rouge et de vert sur le siège de la chaise de jardin.
Elle pense, mais cela met beaucoup de temps à s'articuler dans sa tête, c'est un bouquet de fleurs, un bouquet de roses.
Aussitôt elle met en doute cette vision : "C'est idiot, ce ne peut être un bouquet de roses. Qui aurait posé là un bouquet de fleurs ? Et pour qui ? Pour elle ?"
A la frontière entre désir doute, ses pensées se bousculent dans sa vieille tête : Pour elle ! Mais laissez-moi rire. Mérite-t-elle des fleurs ? Qui pourrait donc l'aimer alors qu'elle ne s'aime pas et qu'elle s'est enfouie dans la solitude comme on s'élance dans la mort depuis un pont.
Dépassant la frontière de la raison, les yeux clos, elle fait un pas dans le territoire des sensations : "Saisir ce bouquet, le respirer de toutes ses forces, l'écraser contre sa poitrine. Une herse noire soudain se dresse entre elle et sa volonté : "Ce bouquet est destiné à quelque d'aimable, de coquet de tendre avec une bouche rouge comme les roses qui sait donner des baisers".
Retour derrière de la frontière de la négation : "Oublier le bouquet. Ne pas le regarder, penser à autre chose, se persuader qu'il n'existe pas".
Mais quelque chose supplie avec une voix d'enfant : " Mais les fleurs vont faner. Il faut mettre le bouquet dans un vase."
Une prodigieuse fatigue entre en scène en robe extravagante noire décorée de fanfreluches clinquantes se colle à elle, l'aspire : "Trouver un vase oublié tout en haut de l'armoire, le nettoyer, le remplir d'eau, aller chercher le bouquet (qui est peut-être une illusion) l'arranger avec des gestes d'artiste, puis mettre le tout sur la table de la salle à manger : quelle fatigue."
Quelque chose questionne, exige une réponse : "Qui a abandonné un bouquet de roses sur la chaise de jardin? C'est un acte dénué de bon sens. Un bouquet çà s'offre avec un large sourire.
Il aurait dit "Tiens maman, c'est pour toi. J'ai pensé à toi."
Retour dans le camp de la douleur muette. Vision floue de fantômes du passé qu'elle voudrait retenir mais elle oublie, tout s'efface.
A la frontière entre l'ombre et la lumière se tient une chaise de jardin, sur son siège un bouquet innocent, spontané, de roses expire.