Destination : 20 , Sens interdit(s)
Apathie
Ses états d'âme, si elle pouvait en être maîtresse!
Ils étaient un handicap de ses activités physiques et intellectuelles
, dès qu'une peine l'assaillait.
C'était le coeur oppressé que Myriam se fit cette réflexion.
Sa sensibilité à fleur de peau la faisait souffrir à la moindre
remarque désobligeante , à la moindre déception, suite à une attente
vaine, à une mauvaise nouvelle ou même depuis quelques temps à
n'importe quel évènement auquel elle ne s'attendait pas, si minime
soit-il: une visite inopinée, une lettre dont l'enveloppe ne portait
pas le nom de l'expéditeur, un ordre de son patron.
Elle ne savait plus quoi faire de sa vie, perpétuelle tourmente.
Ce matin, comme à sa nouvelle habitude, elle a ouvert les yeux sur une
pensée de lui. Parti depuis une semaine, il a à peine donné signe de
vie: il a appellé le jour de son arrivée dans ce pays lointain puis,
coupés brutalement pour une raison obscure, plus rien.
Au bout de trois jours, pour ne plus souffrir, elle décrocha le
téléphone.
Au bureau, elle se traînait comme une âme en peine.
Ses amies ont fini par la délaisser, elles qui l'avaient taquinée au
début de sa relation avec lui, croyant à une passade.
A présent, peinées par ce qui lui arrivait, impuissantes devant son
inertie, elles la tenaient à l'écart de leurs plaisanteries, de leurs
escapades à midi hors du bureau.
Myriam a apprécié la discrétion de ses collègues: rire, manger,
s'amuser était au-dessus de ses forces. Pourquoi se donner cette peine
en plus: leur jouer la comédie d'une jeune femme insouciante, un état
qui ne reviendra plus et qu'elle regrettait à présent qu'elle était
prise au piège de l'amour ingrat associé à ses phobies qui allaient en
augmentant.
Presqu'assoupie sur son bureau, le téléphone qui sonna stridemment a
failli avoir raison de son apathie mais non, indolente elle le prit et
d'une voix indolente elle répondit à sa mère qui, inquiète de son
silence a fini par la relancer au bureau:
-Tu viens dîner ce soir, lui commanda presque sa maman.
-Je n'ai pas faim, je viendrai une autre fois .
-Plus que pour t'inviter à manger, je te téléphone parceque j'ai envie
de te voir, de te parler.
-Excuse-moi maman mais je ne peux pas sortir, si je viens au bureau,
c'est pour avoir un salaire. Sinon, je t'assure, je ne sortirais pas de
dessous la couette, je n'ouvrirais pas ma fenêtre et ne verrais
personne.
-Si tu ne viens pas, ce serait moi qui viendrais alors.
-Maman, je ne pourrais pas t'ouvrir la porte. Dès que je rentre à la
maison, je me mets au lit, des boules Quies aux oreilles.
-Tu n'es pas malade au moins? Je passe te chercher au bureau, attends
moi, je pars tout de suite.
-Mais je n'ai rien maman, juste un peu de fatigue et ça va me passer
très vite;
-ça fait trois mois que tu m'évites, trois mois que je ne t'ai pas vue!
-Je te promets, la semaine prochaine, tout ira mieux, je viendrai
passer trois jours chez toi, rien que pour te rassurer.
C'est la dernière fois que je la croie s'est dit la mère sérieusement
inquiète en raccrochant. Elle était décidée à ne pas céder à sa fille
si elle s'esquivait de nouveau.
Myriam était contente d'avoir réussi à éviter sa maman pour quelques
jours: d'ici là son ami téléphonera et tout rentrera dans l'ordre, du
moins, elle l'espèrait.
Elle tourna en rond dans le bureau vide, faillit commander au garçon
des courses un sandwish puis y renonçant à la dernière minute, reprit
sa place sur la chaise et repartit dans ses rêves.
A dix sept heures, elle s'appréta à sortir en vitesse pour éviter toute
tentative de ses amies de l'accompagner, quand soudain, la voix de son
patron grondit dans le couloir, elle se mit à trembler comme une
feuille, son visage palit et elle faillit s'évanouir.
Derrière elle, elle entendit un rire: " Chaque soir, c'est la même
chanson: bien refermer la porte derrière vous! " s'esclaffa l'une des
jeunes filles.
Elle courut se rafraîchir le visage et se précipita vers l'ascenceur.
Au cours de sa descente, l'habitacle trésaillit, toussota puis
s'immobilisa. Elle devint blème. Le coeur battant, elle appuya sur la
sonnette d'alarme quand la porte s'ouvrit, livrant accès à deux hommes,
c'était le deuxième étage! Rassurée quant au fonctionnement de
l'ascenceur, elle passa le reste de la descente à regarder le sol,
cramponnée à son sac. Ces deux inconnus ne lui inspiraient pas
confiance. Sur le seuil de l'immeuble, ils furent salués par le
concierge.
" Encore une peur non fondée !" marmonna-t-elle.
Chaque moment passé dans la rue était pour elle un calvaire: des bruits
de pas précipités derrière elle, une personne qui criait, une bagarre.
Quand elle arriva devant chez elle, un sourire se dessina sur ses
lèvres: enfin en sécurité. Aucune envie de faire des courses, elle
n'avait pas faim, ne cuisinait que rarement, elle n'avait besoin ni de
produits pour la vaisselle ni pour la lessive.
Comme inhabitée, sa maison était impeccable:aucune énergie, aucun
besoin, rien ne venait déranger l'ordre ses choses.
Elle ne savait pas si elle devait se réjouir pour ce qu'elle n'avait
pas à faire ou s'inquiéter de son état.
A la fatigue d'y réfléchir, elle préféra s'étendre sur le lit attendre
le sommeil.