Destination : 44 , Sartre


Miettes de philosophie, à prendre avec des pincettes ou à verser directement dans la poubelle

L'existence d'un objet ou d'un être précède le désir qu'on peut avoir de lui et par là-même l'essence qui s'en dégage et qui appelle l'appétit. Car faut-il avoir faim pour désirer avidement un simple morceau de pain sec. Faut-il avoir soif pour désirer goulûment un verre d'eau fraîche. Cependant les hommes - comme les bêtes, du reste - ont eu faim avant l'existence du pain, avant l'existence (ou la conscience de l'existence) de nourritures terrestres. Que dire alors des nourritures spirituelles ! Vaste matière que j'abandonne volontiers aux spécialistes du domaine de l'impalpable.

Revenons donc à nos hommes jetés sur terre, abandonnés à leur sort. La faim justifiant des moyens, ils ont entrepris ce que nous appelons de nos jours le grignotage. Pratique déjà reconnue à l'époque comme néfaste à la santé tant physique que morale. L'ère de l'expérimentation était lancée, la science en marche avant même la conscience. Ce qui s'avèrera par la suite une erreur monumentale. Mais là encore nous touchons au domaine de l'immatériel et si j'ose m'avancer : de l'improbable.

De feuilles en aiguilles, les survivants de ces procédés aussi bien délectables que douloureux et souvent mortels ont découvert - par hasard ou guidé par leur destin (cela est une autre histoire qui nous ramène à ce sujet que je veux éviter à tout prix : l'évanescence, que je nomme en langage prosaïque la naissance d'Eve) – les rescapés donc ont découvert le Fruit ! L'existence de cette promesse - car l'intuition leur est venue immédiatement de ne pas laisser passer l'occasion – a déclenché une extraordinaire appétence. Les sens excités se sont heurtés à l'interdit. Et comme l'interdit précède la transcendance, il est facile d'imaginer dès lors l'apparition et l'essor fulgurant de la graine de violence. Les bouleversements qui s'en suivirent perdurent de nos jours malgré l'acharnement d'esprits ésotériques en communication directe avec un être suprême invisible. Je ne m'aventurerai pas – vous le devinez aisément – sur le terrain de l'incorporel et de l'intemporel : situations trop instables.

Et l'esprit dans tout ça ? Les hommes avaient-ils perdu l'esprit ? L'avaient-ils seulement déjà gagné ?
La façon dont ils se sont jetés dans la bataille, sans foi ni loi, portés par la seule attraction - le désir de la chose matérielle -, fait penser qu'ils n'avaient pas d'esprit, que la conscience leur faisait défaut. Ils avaient tout à apprendre. Ils ont appris à leurs dépens les risques et les dangers ; mais il reste des fous prêts à vivre pour mourir ou à mourir pour vivre, des automates qui n'ont pas encore saisi le sens de l'existence. Ces intrépides, ignorant la peur puisque ignorant le sens du danger, se jouent de leur existence éphémère. Alors comment leur demander d'extraire une substance aussi éthérée que l'essence ? Raisonner sur une telle subtilité apparaît impensable !

Mireille 30 avril 2005

Mireille