Destination : 144 , Magique !
La dînette
24 Décembre 1959, la petite Marie passe devant le bazar de la rue principale et comme tous les jours depuis un mois déjà, elle admire dans la vitrine la jolie dînette que le Père Noël lui apportera, c’est sûr, comme cadeau.
C’est une batterie de casseroles en aluminium, rangées par ordre décroissant. Une jolie cocotte et son couvercle les accompagnent. Le manche des casseroles, les poignées et le bouton du couvercle de la cocotte sont en bakélite, du rouge le plus beau que Marie ait jamais admiré ! L’ensemble repose sur du satin blanc, au fond d’une grande boîte au couvercle transparent, chaque pièce en métal brillant comme des bijoux dans leur écrin.
Marie a quatre ans et demi, une jolie queue de cheval, longue, épaisse et brillante, haut sur le dessus de la tête. Maman lui a tricoté un drôle de bonnet en laine, rouge, lui aussi, avec un trou qui permet de laisser sortir la queue de cheval. Les passants se retournent et regardent, amusés la mignonne petite fille et son drôle de chapeau.
Marie n’a parlé à personne de la dînette de ses rêves. Elle l’admire chaque jour en silence, elle patiente car elle sait que le Père Noël connaît tout des souhaits enfouis au fond de son cœur et qu’il ne manquera pas d’y répondre, demain matin.
Le soir venu, pour distraire sa petite fille énervée devant le sapin, maman lui demande ce qu’elle attend du père Noël et Marie livre enfin son souhait le plus cher.
Devant la mine figée soudain et le silence de sa mère, les explications embarrassées de mémé qui lui explique que, quelquefois, le Père Noël a du mal à exaucer les vœux des enfants qui ne les ont pas exprimés à haute voix ou par écrit, Marie se fait rassurante : « Il ne faut pas vous faire de souci, le Père Noël sait tout ! » Il n’y a rien d’autre à ajouter.
Et le lendemain, effectivement, pliée dans un beau papier brillant, Marie déballe la dînette tant espérée, devant le cercle de famille attendri. Et les gratifie même d’un triomphal : « Je vous l’avais bien dit ! » Elle garde, en ce jour et pour quelques années encore, une assurance tranquille au sujet de la magie de Noël.
13 Juillet 1970, Marie a quinze ans maintenant. Par défi, elle a coupé très court ses longs cheveux épais et brillants. Elle déplace un cou gracile et des membres interminables avec la grâce malhabile d’une jeune pouliche rebelle. « Ma petite araignée ! », se moque papa affectueusement. A ces mots, Marie lève les yeux au ciel, exaspérée : « Pfff, pauvre type ! »
Ce jour-là, Marie s’interroge à haute voix sur le fait qu’elle n’arrive toujours pas à se débarrasser de cette batterie de casseroles en aluminium qui trône sur une étagère de sa chambre, empilées dans l’ordre décroissant et accompagnées de la jolie cocotte et son couvercle. Pourtant, elle a depuis longtemps liquidé ou donné ses autres jouets, y compris ce bon vieux Nounours ventru, qui protégea pendant presque dix ans ses nuits des cauchemars.
Alors, sa merveilleuse mémé aux cheveux de neige lui raconte comment papa lorsqu’il arriva du travail en ce soir de Décembre 59, trouva les deux femmes désolées de voir se détruire si tôt les rêves de leur petite fille.
Comment il refit aussitôt, au pas de course les trois kilomètres qui le séparait du village pour voir, du fond de la rue, le rideau du bazar se baisser.
Comment, alors qu’il restait impuissant et à bout de souffle face au magasin fermé, il vit sortir, par la petite porte de côté, M. Flamand, pressé de rentrer chez lui fêter Noël en famille. Comment, devant les explications maladroites et suppliantes du jeune père, le vieux commerçant le fit entrer en maugréant par la porte de derrière dans la boutique, l’illuminant à nouveau de tous ses feux pour aller cueillir dans la vitrine la fameuse dînette et l’emballer dans un joli papier doré.
Enfin comment papa refit joyeusement le trajet de retour, le paquet doré protégé, sous sa canadienne, des flocons qui commençaient à tomber.
Marie écoute sa grand-mère, la gorge nouée, le cœur battant, les yeux aussi brillants qu’en ce lointain matin de Noël où elle trouva la dînette sous le sapin. Elle découvre la magie de l’amour.