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Destination : 316 , Mauvaise destination
Le paradis ? C'est l'enfer !
Bon, on va pas se mentir, hein ? Je savais bien, j’ai toujours su que l’Enfer serait ma destination finale. Il ne pouvait pas en être autrement et j’avais tout fait pour ça. Alors, où est le problème ?
Il faut dire que ma vocation a commencé de bonne heure : déjà tout petit, j’adorais faire mal. Aux insectes, aux chats, à ma petite sœur et même à mes parents. Il y avait pour moi une véritable jouissance (même si je ne connaissais pas encore ce mot) à les voir gémir, crier ou pleurer. Je vous épargne les détails… quoique, l’idée de susciter en vous une certaine détresse ne soit pas pour me déplaire. Allons y donc ! Pour faire court, j’avais plusieurs spécialités : épingler des insectes vivants, enfermer les chats dans le micro-onde et le mettre en marche (aaaah ! le souvenir de leurs petits miau-hurlements me fait encore frissonner d’excitation) ou faire tomber ma petite sœur dans le puit (ça je n’ai pu le faire qu’une seule fois, vous aurez compris). Pour mes parents, c’était plus subtil : je soufflais le chaud et le froid, je me faisais tout câlin pour mieux les mordre ou les taper avec mes jouets, de préférence la locomotive en bois qui pouvait éclater une arcade d’un seul coup bien placé. Plus ça crie, plus ça saigne, plus ça se tord de douleur et mieux c’est.
Après l’épisode de ma petite sœur, j’ai été placé dans un foyer spécialisé, comme vous vous en doutez. Quelle aubaine : j’avais à ma disposition des dizaines de victimes innocentes qui allaient devenir les cobayes de mon petit laboratoire d’expérimentation et de torture. Mon apprentissage dura quelques années, c’est là que j’entendis pour la première fois parler de l’enfer, par la bouche d’une éducatrice hystérique après avoir trouvé mon voisin de chambrée avec tous les ongles arrachés par mes soins délicats et attentionnés. « Tu brûleras en Enfer » s’était-elle écriée en emportant dare-dare mon jouet du jour à l’infirmerie. Je retins deux choses de sa colère prédictive : j’allais devoir étudier de près ce concept d’enfer et je trouvais plutôt intéressante l’idée de brûler quelqu’un, si possible pas moi. Quand je pris conscience que mon CV ne m’autorisait plus à espérer échapper à l’enfer, je mis la deuxième pensée en pratique sur ladite éducatrice. La suite ne se fit pas attendre et j’atterris directement en prison, sans passer par la case départ ni toucher les 200 Euros.
Je fais une pause car je sais ce à quoi vous pensez : mais enfin, cet enfant devait souffrir d’une pathologie grave ! Les psychiatres et psychothérapeutes n’ont-ils pas pu l’aider ? Et là je vous arrête tout de suite : pour qu’un psy puisse aider quelqu’un, il faut que ce quelqu’un veuille bien être aidé. Point final, on referme la parenthèse et on n’en parle plus.
Donc me voilà en prison avec des dizaines de petits fous furieux comme moi. Eh bien, sans me vanter, je peux dire qu’aucun ne m’arrivait à la cheville. C’est là que je me rendis à l’évidence : j’étais un champion dans ma catégorie. Mais bon, en prison, c’est quand même plus compliqué de pouvoir assouvir ses envies pulsionnelles, et donc je me tins plus ou moins à carreaux pendant quelques années. Et comme j’étais mineur au moment de ma reconstitution historique de la mort de Jeanne d’Arc, je pus sortir au bout de quelques années.
C’est là que je me dis qu’il fallait arrêter ces enfantillages. J’étais un adulte maintenant, capable de réfléchir, raisonner, contenir mon impulsivité. Non, mon prochain exploit serait aux petits oignons. Et ça, pour être aux petits oignons, il le fut ! Démembrée, dépecée, découpée et cuite à feu doux sur ma gazinière. Cependant, je n’ai pas été emballé par le cannibalisme. C’est pas un truc pour moi. Je crois que je suis un végétarien du crime.
Comme j’étais assez malin je ne me suis pas fait prendre tout de suite. J’ai pu tester toutes sortes d’idées et de concepts géniaux, en m’inspirant des récits de torture de guerre. Je pense même avoir dépassé les maîtres Et puis, pas regardant sur la marchandise avec ça : homme, femme, enfant, vieillard, noir, blanc, métis, brun, blond, roux, les yeux verts, bleus ou marrons… m’en fous royalement ! Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse…
L’avenir dira quelle empreinte je laisse dans l’histoire de la violence. Car bien sûr, ma belle histoire s’est arrêtée assez brutalement quand j’ai été abattu par un flic en tentant de m’échapper. Pas d’arrestation donc pas de procès… personne ne saura jamais exactement combien je laisse de victimes derrière moi. Le nombre est déjà conséquent mais il y en aura toujours quelques-unes pour échapper aux enquêteurs. A contrario, je pense qu’ils ne se gêneront pas pour en rajouter d’autres à mon tableau de chasse…
Mais ce n’est pas là mon problème. J’ai été tué, d’accord. J’ai vu le grand tunnel comme tout le monde, j’ai entendu les voix qui me parlaient sur un ton réprobateur (je m’y attendais quand même un peu) et puis une lumière éblouissante m’a aspiré. Je me suis dit « ça y est, mon coco, tu es bon pour rôtir dans les flammes de l’Enfer… »
Que dalle. Vous imaginerez jamais ce qu’ils m’ont fait… ils m’ont envoyé au Paradis. Au pays de Bisounours si vous préférez. Avec la totale : les petits nuages blancs, les anges et tous les saints qui chantent des cantiques de joie et d’amour à longueur de temps. Ça me donne envie de vomir ! Mais je suis coincé parce que le grand chef, qui est aussi malin, il a eu une idée terrible : il m’a coupé les ailes. Enfin, façon de parler. Disons qu’il a déconnecté mon cerveau de la machine. C’est-à-dire que, chaque fois que j’ai envie de trucider quelqu’un, que j’imagine en pensée les mille tourments que je pourrai mettre en pratique, mon corps n’obéit pas. Pire, il fait tout le contraire : des câlins, des embrassades, des mamours horribles accompagnés de sourires et regards mielleux. Une torture insoutenable. Voilà ma punition divine : pour moi, le Paradis, c’est l’Enfer !