Derniers textes publiés :
Destination : 345 , Vous pouvez répéter la question ?
Une question est une réponse (Paul Claudel)
Cela faisait plusieurs semaines que je passais devant la vitrine de ce magasin. Le bail venait d’être repris par de nouveaux locataires qui s’étaient aussitôt attelés à rafraîchir la boutique. Les ouvriers s’affairaient pour donner un coup de neuf à l’ensemble, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La vitrine restait nue, un paravent astucieusement installé empêchait de voir dedans. Enfin, un matin, une petite ardoise d’écolier, posée sur un guéridon sans âge, avait fait son apparition derrière la vitre : « Ouverture à 14h. Pour entrer, posez la question ».
Aucune date n’était précisée, je supposais donc qu’il s’agissait du jour d’hui. La seconde partie du message m’était par contre parfaitement incompréhensible ! Quelle question ? C’est ce que je me demandais toute la journée, posant mille hypothèses qui me laissaient toutes insatisfaite. Je me rendis compte que je n’avais même pas eu l’idée de lever les yeux, pour voir si une enseigne avait été posée. Il y aurait peut-être là un indice ?
Le soir, je hâtais le pas, pressée et curieuse. Je fus déçue car tout était éteint, déjà fermé. L’ardoise avait été enlevée. Cette fois, je fus attentive à l’enseigne peinte sur un panneau de bois : « Burn after Coming ». Bref, je n’étais pas plus avancée !
Le lendemain matin, la petite ardoise était à sa place ; le soir, elle avait disparu. Il en fut ainsi le surlendemain, puis les jours suivants. Cela faisait maintenant quatre mois. Intriguée, voire même décontenancée par cette mystérieuse boutique, j’étais bien décidée de profiter de mes vacances pour franchir, enfin, le pas de la porte.
Cependant, il fallait pour cela que je résolve le problème de la question… J’avais dix jours pour m’y préparer, mais aucun début de commencement d’idée pour y répondre ! Fallait-il que ce soit une question personnelle ? Intelligente ? À brûle-pourpoint ? Sans queue ni tête ? Épineuse ? De vie ou de mort ? Sans réponse ? Une drôle de question ou une question drôle ?
Ne sachant pas par où commencer, je me dis que le mieux serait peut-être de partir de ce que je connaissais, c’est-à-dire de moi. Quelles questions aimerais-je qu’un jour, quelqu’un me pose ? Forte de cette piste de départ, je passai des heures à dresser des listes d’interrogations diverses et variées, plus ou moins futiles, plus ou moins farfelues, plus ou moins recherchées… en me disant qu’à force, je finirai bien par la trouver, LA question à poser !
Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Où aimeriez-vous aller ?
Quelles sont vos pensées en ce moment ? Vous sentez-vous heureuse ?
Aimez-vous les fleurs ? Les animaux ? La nature ? Le chocolat ? Le vin rouge ?
Croyez-vous que l’homme est naturellement bon et culturellement mauvais, ou l’inverse ?
En qui avez-vous confiance ? Quelle amie êtes-vous ? Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Qui avez-vous aimé ? Quand avez-vous été aimée ? Avez-vous un chat ?
Quel bagage pèse le plus dans vos souvenirs : les rires ou les larmes ?
Quelle est la plus importante des qualités selon vous ?
Pour quel défaut montrez-vous le plus d’indulgence ?
Quel rêve avez-vous réalisé ? Quel cauchemar hante vos nuits ?
Si vous retrouviez celle que vous étiez à 20 ans, que lui diriez-vous ?
Qu’attendez-vous de la vie ? Qu’attendez-vous de la mort ?
La fin de la semaine arriva. Je me présentai devant la boutique, le lundi suivant, enfin prête. Je poussai la porte et entrai dans une pièce vide, aux murs nus, seulement éclairée par la lumière du jour. Il n’y avait personne… J’hésitai un bref instant puis, prenant une grande inspiration, je me lançai…