Destination : 86 , Droit dans le mur !
le jardin secret
Juliette a six ans. Elle a les cheveux couleur miel et le teint pâle. Ses yeux verts en amande lui donnent un air mutin.
Nous sommes au mois de juillet. Elle passe ses vacances, comme chaque année, dans la maison de campagne de ses grands parents. C’est une villa cossue, entourée d’un parc verdoyant, au centre du Vercors.
Juliette, elle, habite avec ses parents dans un F3 en banlieue parisienne. Le mois d’aout est pour elle un grand bol d’air frais. Chaque été elle rentre toute dorée, avec un plein d’énergie pour tenir jusqu’à l’année prochaine.
Elle a eu six ans il y a un mois. Et ce jour là elle a pris une grande résolution. Elle s’est promis de franchir le grand mur en pierre qui cloisonne le fond du jardin de papi. Car son accès est interdit et Juliette ne sait pas pourquoi. Elle n’aime pas les mystères et cette année elle l’élucidera.
Nous sommes lundi matin. Voilà déjà une semaine que Juliette a emménagé dans la petite chambre bleue sous les toits. Ses journées ont été bien remplies, entre la cueillette des mûres avec mamie, les confitures, la chasse au papillon, la construction d’un barrage en bois dans la petite rivière, le marché samedi et ses bonnes odeurs de fruits frais et l’inévitable messe dimanche avec les amies de mamie pour le thé.
-Il est donc temps de se lancer dans la grande expédition ! se dit-elle en sautant de son lit ce matin. Elle sait que papi descend toujours en ville le lundi matin et que sa grand-mère sera occupée à ses broderies sur coussins. Elle a donc toute la matinée devant elle.
Après un petit déjeuner copieux, pain d’épices, chocolat chaud et yaourt aux myrtilles, Juliette embrasse sa mamie et pénètre dans le jardin. La pelouse et ses grands chênes n’ont plus de secrets pour elle. Ni le potager de son grand père avec ses murets en pierre qui font comme un petit labyrinthe. Ni la bute fleurie et ses abeilles qui dansent autour. Ni la rivière et tous ses cailloux plats et colorés. Mais le grand mur… elle sait que si elle se glisse derrière la glycine et pousse légèrement le grillage elle pourra atteindre le petit portillon qui ouvre le grand mur sur l’inconnu.
-quand tu seras plus grande, un jour, papi t’emmènera peut être. Mais pour l’instant tu es trop petite. C’est dangereux et papi serait furieux. » C’est la voix de sa grand-mère qui résonne dans sa tête quand elle s’approche de la glycine. Son cœur cogne dans sa poitrine. Elle agrippe le grillage vert, légèrement rouillé et glisse son petit corps de l’autre côté. Elle se retrouve dans une cachette entourée de feuillus. Elle ne peut même pas apercevoir le bleu du ciel. Elle pousse les branches devant elle et découvre une petite porte faite de planches de bois vermoulu fermée par un loquet en acier oxydé. Ses petits doigts tremblent sur le fermoir mais celui-ci cède facilement.
C’est une immense plantation qui s’ouvre à elle. De simples arbustes à l’odeur entêtante longés par un chemin de terre. Juliette est déçue. Elle ne comprend pas pourquoi on lui interdit l’accès à un verger banal et sans intérêt. Elle emprunte le sentier et fait le tour : que des plantes vertes identiques et écœurantes. Il n’y a pas de trésor, de lion en cage, de village rempli de lilliputiens. Pas de maison en sucre ni d’élevage de dragons. Elle retient ses larmes. La déception est immense.
Sur le chemin du retour, Juliette soupire. Elle n’aura pas d’histoire extraordinaire à raconter aux copines à la rentrée.
Ce qu’elle ne sait pas Juliette, c’est que toutes ses plantes valent chères. Qu’elles sont interdites. Et que papi les fume tous les jours, pour oublier qu’il souffre atrocement de l’arthrose et qu’il vieillit trop vite. Mais ça, Juliette ne le comprendra que plus tard, quand elle aura seize ans et qu’elle reconnaitra l’odeur autrefois écœurante du jardin secret de papi…