Destination : 126 , Rentrée philo


Paradoxes

Il est là, devant moi, immobile, mort, bel et bien mort, pas pour faire semblant, si on lui croquait le doigt de pied, drôle de coutume, il ne broncherait pas plus que là, devant moi, immobile donc, bel et bien mort. J’ai beau faire, je ne peux déjà plus le penser ni bougeant, ni riant à des anecdotes, ni pétri de qualités, et même pas bourré de défauts. Non, à la minute, je réussis juste à évoquer ce que les autres en disaient, et qui me paraît maintenant si absurde.



Confrontée à sa rigidité, nouvelle pour moi et déjà extrêmement familière, à cet arrêt sur images étrange qui paraît faux, presque artificiel, je m’étourdis dans un ballet de mots et d’expressions, sans doute toutes absurdes à la minute présente.



Par exemple, on disait de lui, avec un léger sourire, « c’est vraiment un bon vivant ». Paradoxe des paradoxes, il serait mort d’avoir bu trop d’eau-de-vie…



Expression étrange, si on y pense, accolée à des gens qui profitent de la vie d’une façon si extrême que la première chose qu’on se dit, à les voir, c’est : celui-là, il ne risque pas faire de vieux os.



Expression orpheline, pas comme le mot bon, qui attire instantanément ses contraires, méchant ou autre : s’il y a des bons vivants, il n’en est pas de mauvais, pas plus qu’on ne parle de triste drille, ou de froid lapin.



Dans le même état d’esprit, je repense à ce film brésilien, dans lequel un personnage commente le tic tac de l’horloge : « quand elle égrène des secondes, tu entends : une de plus, une de plus, alors qu’en réalité, elle te dit : une de moins, une de moins ».

Au même moment où tout bon vivant va de l’avant, il décline irrésistiblement un compte à rebours très visible, prenant la fin et la rapprochant de lui.



Le bon vivant est peut-être plus visiblement que les autres, celui qui prend et qui brûle, en quelque sorte, la vie par les deux bouts. Dans le même temps où il jouit de la vie, il est le plus mauvais vivant possible.



Cette idée me fascine : comment « prendre » la vie, tout simplement ? si on admet l’idée qu’il y a un bout, et même éventuellement deux, comment les discerner dans toute cette masse, comment s’en saisir ? Sans compter qu’un bout, c’est souvent le dernier. Prenez par exemple la phrase : « c’est le bout de la route », personne n’admettra qu’il s’agisse du début. Encore que, quand on y réfléchit, toute idée de début est relative à l’endroit où nous nous trouvons.

Je n’ai pas de réponse à mes propres questions.



Là où je me trouve, justement, qui est vivant, sans artifice, devant ce corps sans vie ? Moi, bien sûr. Moi, je suis vivante. Condamnée, faute de pouvoir répondre, à ne prendre la vie par aucun bout.



J’ai arrêté de bouger, je ne respire presque pas, je n’exhale que le souffle de vie minimum, je m’économise, j’aime tant la vie. Et dans mon immobilité, que j’essaye absolue, regardant ce bon vivant mort sans regard, je me demande tout à coup, qui est vivant ?























Christine C.