Destination : 97 , Coupable ?


La dernière roue de charrette ?

Mesdames et Messieurs les Jurés, faut-il condamner le cercle, autrement dit, l’abolir définitivement, telle est la difficile question sur laquelle vous allez être amenés à vous prononcer, au terme de ce long procès.

A l’aide des nombreux témoignages que vous avez écoutés, tout au long de ces derniers jours, avec une constance admirable – permettez-moi de vous en rendre hommage ici -, vous avez pu vous faire une idée précise du rôle extrêmement pernicieux du cercle dans notre société.

C’est à vous que va incomber maintenant un choix dont la délicatesse et l’importance ne vous échapperont pas : décider, soit de son éventuelle survie, soit de son éradication définitive de la société.

Il me revient de tenter ici une synthèse des arguments en présence, de façon à éclairer votre lanterne, probablement troublée par les dépositions de certains pygeosophes qui se sont produits à la barre.
J’en vois certains froncer des sourcils.
Pygeosophe, Mesdames et Messieurs les Jurés, est un nom masculin formé des racines « pugê », fesse, et « sophos », sage. Le pygeosophe, à ne pas surtout pas confondre avec le philosophe, dont il n’est qu’un cousin de branche lointaine, le pygeosophe, donc, affiche une tendance certaine à penser comme un postérieur, à tenir des raisonnements qui ne volent pas plus haut que son… hum, je vous prie de bien vouloir m’autoriser à ne pas terminer ma phrase pour ne pas offusquer les oreilles chastes de cette docte assistance. Sans nul doute cependant, vous voyez bien à qui je fais allusion, simplement en vous remémorant quelques clinquantes conneries, hum… enfin… quelques propos qui ne valaient pas un rond, entendus au cours de ces dernières heures.

Mais je vous demande de bien vouloir m’excuser. En effet, je crois que je m’égare.
Revenons à nos moutons, qui, entre parenthèses, sont généralement, comme toute chose essentielle, regroupés en carrés et non en cercle.
Comme par hasard, je vous le signale au passage.

Que dire du cercle, en effet ?

L’étymologie nous renseigne bien d’emblée. En effet, le mot vient du latin « circulus », circulez, il n’y a rien à voir.
Il est généralement fermé, sinon, ce n’est plus un cercle, notez-le bien, mais un arc de cercle, dont vous constaterez immédiatement, au simple énoncé de son nom, le caractère belliqueux et asocial.
Agressif, ou buté, selon, nous avons donc le choix du sens, si on peut appeler choix les deux termes de cette triste alternative.
Je rajouterai à ce tableau peu reluisant que la moralité de l’intéressé est rarement sans taches. En effet, ne dit-on pas d’un cercle qu’il est vicieux ? Sans compter les cercles de famille, dont je doute beaucoup que vous puissiez en connaître de très vertueux ?
Ah ! Vous voyez…

Par ailleurs, rien n’est plus proche que lui du zéro, Mesdames et Messieurs les Jurés, je vous demande de garder ce fait important et significatif en mémoire.

Je me permets également de vous interpeller sur le fait que le seul mouvement induit par le cercle est giratoire, et qu’il nous conduit immanquablement à tourner en rond, en orbites stériles, comme nous le faisons quotidiennement autour de ces ronds-points hideux qui défigurent les abords de nos centres villes.
A propos de ronds-points et de villes - vous allez voir que le cercle de mon raisonnement se resserre, je m’arrêterai cependant avant qu’il ne nous étrangle, n’ayez crainte -, si vous vous décidiez à l’éradiquer totalement, vous accompliriez, réfléchissez-y bien, je vous prie, un geste décisif en faveur de la planète. Pensez un peu, en effet, aux difficultés que rencontrerait un 4X4 qui tenterait d’évoluer dans les rues de nos belles cités, si la roue n'existait plus?
Ah ! Vous voyez…

Je vous fais grâce des effets nocifs, sur le trou de la sécurité sociale, de l’invention du cercle qui ceint les tonneaux, des ravages générés par les monnaies – toutes rondes - sur les relations humaines, des liens étouffants qui nous enserrent, qui nous coupent de la liberté fondamentale de nos destinées solitaires, symbolisés par ces anneaux autour de nos annulaires, des couronnes royales, apanages de ceux qui visent plus à nous contraindre et à nous écraser, qu’à nous conduire au nirvana…
En bref, Mesdames et Messieurs les Jurés, je ne pense pas nécessaire d’énumérer plus longuement les chefs d’accusation.
Vous êtes maintenant convaincus, j’en suis persuadé, de l’absolue abomination de l’accusé.

Nos vies sont des cirques – nous y voilà encore, à ces cercles infernaux -, et si nous voulons les reprendre en main, il convient donc de prendre la décision qui s’impose. En finir avec le cercle, lui mettre la tête au carré, voilà ce que je vous demanderais volontiers, si je n’étais pas conscient de ma responsabilité écrasante, en vous orientant vers une sentence aussi radicale.
C’est pour quoi je vous proposerais, finalement, de vous déterminer sur la proposition suivante, dont vous saisirez la nature infiniment plus clémente : condamner tout cercle à la quadrature, pour une durée de quatre ans au moins.

Mesdames et Messieurs les Jurés, je souhaite que vous puissiez vous déterminer maintenant, sans tourner en rond plus longtemps, et naturellement, en votre âme et conscience. Le moment est venu de faire le point.



Christine C.