Destination : 65 , Déclic


Amnésie d'enfance


Il a beau chercher, Marc ne trouve pas. Pas le moindre souvenir, c’est effrayant, il est amnésique de son enfance. Il ne sait pas si petit il a rêvé sa vie, il en doute, il ne pense pas non plus avoir eu de héros, non, il a mené une vie d’enfant plus qu’ordinaire, monotone et il croit bien qu’il s’y est ennuyé.

C’était un enfant solitaire, timide, réservé, pas très attirant, avec une sensibilité précoce, à fleur de peau, il ressentait tout, sans pouvoir toujours expliquer ou comprendre. Les failles, les non dits, les joies, une vrai éponge, perméable à tout et sans que personne ne s’en aperçoive jamais. On le qualifiait même de plutôt distant et froid. Il a vécu dans une famille sans relief et plonger dans son passé lui est douloureux alors que tout compte fait, il a grandi dans un environnement normal, banalement normal. C’est d’ailleurs peut-être bien de cela dont il a souffert et ses rêves oubliés prennent sans doute racine là. Il en est là dans ses pensées quand à sa grande surprise, des souvenirs remontent à la surface.

Il a toujours eu faim, envie de plus, une quête perpétuelle, pas vraiment de modèles, de fantasmes, de rêves de gloire de fortune non, lui, c’est sa réalité de tous les jours qu’il imaginait autre. Il était petit certes mais pourvu d’une sensibilité exacerbée, il ressentait au plus profond de son être, sans le vouloir et sans bien sûr pouvoir l’expliquer que son monde, son quotidien était ou trop ou pas assez, trop fermé, pas assez ouvert. Sans en avoir vraiment conscience, il aurait voulu une famille différente, et pourtant il les aimait et il les aiment mais déjà, tout petit, cette culpabilité qui le ronge et ne le quittera plus devant ce sentiment de trahison.

Son enfance a été sans surprises, ses parents, son frère aurait pu suffire à son bonheur si cette vie de famille repliée sur elle même avait été vécue à fond, avec plein d’amour, de joies, de rires partagés. Mais voilà, il n’avait pas l’impression de suffire au bonheur de ses parents, l’amour était là certes mais pas d’enthousiasme, une vie de famille construite parce que c’était dans l’ordre des choses, une vie plus subie que vécue.

Il en voyait pourtant de ces familles pour qui le simple fait d’être ensemble remplissait tout l’espace. Lui, il avait l’impression d’être né dans un foyer handicapé de l’amour. Chez lui, on n’avait pas appris et l’on n’apprenait toujours pas à dire, à montrer ses sentiments, on ne laissait pas l’amour s’épanouir sans doute parce qu’il y avait un manque, manque de savoir faire, de savoir dire.
Alors, il s’inventait des parents plus aimants, une fratrie plus nombreuse pour se constituer plein de souvenirs, souvenirs d’une enfance riche de petits riens pour se tenir chaud au cœur plus tard.

Oui, il avait bien une sensibilité hors du commun, un besoin jamais assouvi de communication, d’échanges, de connaissances. Il souhaitait aller à la rencontre des gens, vivre, vibrer, dépasser sa timidité maladive, pratiquer des tas d’activités sportives, culturelles. Il avait soif de sensations et de connaissances et c’est aussi de cela dont il rêvait enfant. Aussi, il s’inventait une autre manière de vivre, dans cette famille idéalisée.
Sans rien dire, sans rien montrer, sans rien demander, il observait les autres et de ce qu’il voyait, il se servait pour imaginer ce que pourrait être sa vie. Il meublait ainsi le temps, se réfugiait dans son univers imaginaire particulièrement lors des balades hebdomadaires et si ennuyeuses, toujours le même tour du même pâté de maison.
Il aurait voulu que ses parents l’ouvrent à la vie, au sport, à la culture, au monde, mais pour eux, comme pour beaucoup à cette époque, élever des enfants se résumait à leur donner un toit, à manger, des vêtements, accessoirement leur montrer un peu d’amour et les envoyer à l’école.

L’école ! Heureusement il y a eu l’école ! il s’y est tout de suite senti bien et est entré avec bonheur dans l’univers des mots, la magie à l’état pure ! il a adoré lire puis écrire, un refuge, un abri, de quoi peupler, alimenter son monde. On ne fréquentait pas la bibliothèque et on achetait très peu de livres, la dépense étant considérée comme un luxe alors, il s’est procuré ses lectures auprès des copains, des institutrices.
Petit garçon, il s’est plongé avec délices dans la bibliothèque rose, il se souvient du Clan des sept, Jojo lapin, Oui Oui.
Plus grand il est passé à la collection verte et ce fut un plaisir prolongé avec Croc Blanc, le dernier des Mohicans, l’île mystérieuse ah ! Jack London et Jules Verne que de destinations féeriques, que d’aventures !
Adolescent, vint le tour de la bibliothèque rouge et or, puis des classiques. Il a dévoré le petit Prince, le lion, le grand Meaulnes, Moby dick et bien d’autres ouvrages et auteurs ont agrémenté ses jours et ses nuits.
Adulte la lecture l’accompagne toujours, une boulimie salutaire.

D’autres souvenirs enfouis émergent, il se revoit les yeux rivés sur le petit écran, la télévision lui a aussi permis de s’évader.
Petit garçon, il aurait aimé avoir un animal, un complice, il assouvissait son désir en regardant Poly, Flipper le dauphin ou Belle et Sébastien mais le feuilleton terminé, le manque était toujours là, immense.
Plus grand, oui, il a bien eu envie, finalement, de grandeur, d’être un chevalier, un sauveur, un libérateur. Il regardait Thierry la fronde, Daktari, les chevaliers du ciel. Il donnait de l’eau à son moulin. Il rêvait aventure sport et il dévorait des yeux Ivanhoé, Robinson Crusoé, l’île au trésor.
Adolescent, aux séries cultes de l’époque, Arsène Lupin, Vidocq, les brigades du tigre, les incorruptibles, les envahisseurs, il a rajouté les émissions sportives et culturelles, il se revoit suivre apostrophes, monsieur cinéma, Thalassa et d’autres encore.
Adulte, il choisit avec soin ses programmes parmi les nombreuses chaînes câblées.
Ecole, télévision et lecture, une fenêtre ouverte vers tous les possibles pour grandir et construire sa personnalité.

Il a très vite quitté le domicile familial, trop vite, il aurait dû poursuivre ses études, il regrette. Il a rejoint le monde du travail, il avait un impératif, une urgence, fonder une famille et lui donner tout ce qui lui avait manqué, c’était entre tous, le rêve qu’il voulait à tout prix voir se réaliser.

Il a eu 4 enfants, 2 filles 2 garçons et son existence, jusqu’à aujourd’hui, a tourné autour d’eux Il a toujours pris soin d’être disponible, tel un guide sur le chemin de leur vie.
Il leur a appris à connaître la nature et à s’émerveiller de sa diversité. Les champignons, les noix, les châtaignes les fleurs étaient propices à de belles balades, chaque vacance prétexte à la découverte historique, géographique, culturelle, culinaire d’une région. Il leur a fait découvrir la beauté de la mer, de l’océan, des campagnes et villes françaises.
Il les a emmené au théâtre, au cinéma, au concert, au musée, ils ont baigné dans les livres. Il les a aidé, soutenu dans leur études.
Il a veillé à ce qu’ils soit autonomes, sûrs d’eux, ils ont fait du sport, il a su cacher sa peur et les encourager lorsqu’ils ont voulu pratiquer des activités sportives à hauts risques et enfin il les a entouré et leur a démontré beaucoup d’amour mais tout cela n’était qu’évidence.

La vie a été agréable. Il faisait partie, avec Marie son épouse, en tant que bénévoles, de toutes les associations sportives et culturelles auxquelles étaient inscrites leurs enfants.
A ce titre, ils participaient à l’organisation de diverses manifestations dans le village de campagne où ils résidaient. C’était l’occasion de fêtes et de rendez vous entre amis où les enfants se retrouvaient aussi nombreux que les parents.
Ils côtoyaient ainsi beaucoup de monde et tout un cercle d’amis s’est constitué au fil de ces années.
L’amitié aidant, tout ce petit monde, une bonne trentaine au total, partageait souvent week-ends et vacances. Que de rires, de joies de souvenirs pour petits et grands !

Bien sûr, il sait que la majorité des parents font de leur mieux en fonction de ce qu’ils sont et que les enfants y compris les siens sont toujours plus ou moins critiques par rapport à leur enfance. Il y a toujours des manques, des loupés, cela fait partie de la vie.
Il a quand même l’impression que ses petits sont heureux, épanouis, sur la bonne voie et prêts à réaliser leurs propres rêves.
En tout cas, il a essayé de leur donner les moyens de le faire en étant attentif à leurs aspirations, à leurs besoins si différents pour chacun d’eux.

Aujourd’hui, les enfants sont grands, ils ont quitté la maison ou sont en passe de le faire et il est fier d’eux. Il constate qu’il leur a transmis des valeurs, respect, tolérance, simplicité, solidarité ainsi qu’un certain art de vivre. Il les voit avec bonheur militer ou exercer dans des domaines humanitaires ou éducatifs librement choisis Ils continuent aussi de ramasser les champignons, les châtaignes, le muguet du premier mai, ils aiment partir à la découverte d’une région. Ils ont besoin de lire et savent s’enrichir intellectuellement et assouvir leurs passions. Il est tellement heureux quand ils reviennent pour partager ses instants mais, le reste du temps, il est seul, désespérément seul.
Ils étaient tout ce qui constituait sa vie, son moteur et en chemin il s’est oublié, le vide est là, revenu, immense alors il va falloir le combler. Bien sûr il y a Marie, une certaine tendresse a succédé à l’amour, non une tendresse certaine mais Marie, sa maison, ses fleurs, son jardin, ses lectures son travail, les amis, son mari et les enfants qui passent, lui suffisent, elle est plus sage, elle n’a besoin de rien d’autre. Pour Marc, il va falloir tourner la page, il est sans doute temps pour lui de réaliser ses propres rêves mais par où commencer ?

Théâtre, peinture, sport, écriture le tentent, tout existe sur place, il suffit de faire la démarche. Il sent alors que cette faculté qu’il avait à se dépasser pour ses enfants lui fait défaut, il n’a toujours pas acquis cette confiance en soi qui porte vers les autres, qui pousse à avancer, qui fait que l’on est à l’aise, que l’on ose aller au devant de… Dieu merci, sur ce point, ses enfants ne lui ressemblent pas et il admire leur faculté à entreprendre, à ne pas douter de réussir ou à n’avoir pas peur de l’échec s’il survient. Mais, l’envie, ses envies sont toujours là, alors, avec l’âge, la sagesse, l’expérience et parce que le temps est maintenant compté, il sait qu’il va petit à petit se surpasser. Il suffit de procéder par paliers, ne pas tout vouloir d’un seul coup. C’est le besoin d’écrire qui le tenaille le plus, aussi, il s’arme de courage et s’inscrit à un atelier d’écriture mais sur Internet, encore un peu à l’abri de l’écran avant de se livrer sans barrières dans d’autres domaines.

Chrystelyne