Destination : 76 , Je suis un animal...
Drôle de zèbre
Le froid de canard qui régnait dans le petit studio, avait réveillé Elodie. D’ordinaire, elle dormait comme une marmotte, mais ce matin, elle s’était réveillée avec le cafard. Couchée en chien de fusil, elle bayait aux corneilles. Dehors, il pleuvait comme vache qui pisse et elle avait la chair de poule.
Myope comme une taupe, elle se leva pour mettre ses lentilles et tomba comme un crapaud sur l’amoncellement de vêtements et d’objets divers qui traînaient çà et là. La journée commençait décidemment bien mal.
Sa solitude lui pesait de plus en plus. Ses amies avaient toutes trouvé chaussure à leur pied, elle était le canard boiteux. Pas de quoi fouetter un chat lui répétaient ses copines mais elle avait de plus en plus le bourdon et désespérait de rencontrer l’âme sœur.
Il faut dire qu’elle s’était souvent brûler les ailes et avait succombé plus d’une fois au miroir aux alouettes. Elle en avait rencontré des beaux parleurs, francs comme un âne qui recule. Ils l’avaient fait devenir chèvre. Alors, aujourd’hui, elle faisait le bec fin, trop peut-être, mais chat échaudé craint l’eau froide !
Elle fit une toilette de chat, attacha sa crinière de lion en queue de cheval et décida d’aller se réfugier dans la douce chaleur du petit café où elle avait ses habitudes, au bout de la rue. La perspective d’un brunch revigorant lui redonna des ailes. Allez ! pensa t-elle ! Pour quelques brebis galeuses il ne faut pas vendre le troupeau !
Avant de refermer la porte d’entrée, elle jeta un coup d’œil à son reflet dans le miroir de l’entrée. Des yeux de biche, un coup de cygne, une taille de guêpe. Bon d’accord ! Des mollets de coq ! Mais dans l’ensemble, elle avait du chien. De quoi oublier les larmes de crocodile du réveil.
Elle dévala comme un chevreuil les six étages de l’immeuble et le cœur plus léger se dirigea vers le petit bar. Elle s’était toujours montrée très sceptique sur le bien fondé des fameuses intuitions féminines et pourtant chaque fois qu’elle pénétrait en ces lieues, une certitude l’habitait, comme une évidence : son avenir se jouerait ici, derrière la porte de ce charmant bistrot. Elle se laissa volontiers assaillir par cette idée lancinante : après tout on ne demande pas à un cheval s’il mange de l’avoine Le patron était très chouette et toujours à l’écoute de ses fidèles clients, étudiants et gens du quartier du Marais pour la plupart. L’atmosphère était chaleureuse, feutrée, intime. Elle s’installa confortablement et commanda, en bonne parisienne, le brunch des levers tardifs du week-end.
Elle remarqua alors, lui faisant face, un nouveau venu, un étudiant sans doute, plongé dans un bouquin. Il leva le regard sur elle et l’espace de quelques secondes, le monde s’arrêta de tourner.
Il était beau comme un lion, le cœur d’Élodie s’emballa, elle n’entendit plus que les mouches voler. Une décharge électrique la traversa, elle avait des fourmis dans les bras, dans les jambes. Elle se retrouva paralysée avec pourtant l’envie de détaler comme un lapin.
Le calme enfin revenu, elle se sentit légère comme l’oiseau, gaie comme un pinson. Malgré tout, elle n’était pas une oie blanche, elle ne voulait pas y laisser des plumes. Il était urgent de se reprendre et d’avancer à pas d’escargot. Il ne fallait pas que ce coup de foudre finisse en queue de poisson.
Et puis ! D’abord ! Ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Elle ne le connaissait pas cet oiseau là, oiseau de bon ou de mauvais augure ?
Bien qu’immobile, elle avait l’impression de tourner comme un ours enragé. Comment faire pour lier connaissance ?
Vu le nombre impressionnant de bouquins que le jeune homme avait posé sur la table, ce devait être un rat de bibliothèque. Frisé comme un mouton, son pantalon lui allait comme un tablier à une vache et pourtant, il émanait de lui un charme irrésistible. Son visage, presque enfantin, reflétait la douceur d’un agneau. Il devait avoir un succès boeuf avec les filles.
Elodie décida de prendre le taureau par les cornes. Ils n’avaient pas arrêté d’échanger des regards insistants et face à ses yeux de gazelle, il était devenu rouge comme un coq.
Elle sentait bien qu’il y avait anguille sous roche et qu’ils avaient tous deux des papillons dans le compteur. Il était temps d’arrêter de jouer au chat et à la souris.
Elle se leva et décida de partager son brunch avec ce drôle de zèbre. Elle se sentit pousser des ailes et avait une faim de loup.