Destination : 89 , Afer Adagium
La voix des sages
Dans la plaine africaine, le son des tam tam, porté par le vent, apportait, de tribu en tribu, la bonne nouvelle : Golo, le fils du chef des Kisongo, était rentré victorieux de sa première chasse. Affrontant sa peur, il avait vaincu le lion des cavernes. Marqué de coups de griffes, l’animal sur le dos, Wolo avait réintégré fièrement son village, après une semaine éloignée des siens, à la recherche de son animal totem.
Ce soir, aura lieu la dernière épreuve qui scellera l’admission de Wolo dans le clan des hommes.
Toute la journée, Isi, la guérisseuse, panier au dos, machette et coupe coupe à la main, a choisi les plantes secrètes pour préparer les breuvages rituels.
Dans les cases, les femmes ont préparé un festin à la hauteur de l’évènement, Wolo ne sera définitivement homme qu’après la cérémonie.
Quand la pénombre enfin s’installa, les hommes prirent place autour du feu de camp, suivi des femmes et des enfants. Puis, Wolo fit son apparition dans son costume d’apparat. L’atmosphère se chargea alors de fébrilité. Entouré des chasseurs, martelant le sol de leurs lances, Wolo mima en rythme sa chasse. Au centre de l’intérêt général, il fit naître des frissons en jouant, à la lueur des flammes, avec gravité et talent, cette scène primitive. Arrivé à la fin de son récit, Wolo se trouva soudain face à Gatori, le sorcier. Surgissant comme par magie du néant, effrayant sous son masque, le sorcier lui offrit alors la première boisson initiatique, préparée par la guérisseuse. Aussitôt le jeune garçon fut secoué de spasmes violents. En transes, il rejoignit l’esprit du lion des cavernes. L’instant était solennel, plus un murmure dans l’assemblée. Il était temps pour le sorcier de marquer Wolo dans sa chair, du signe de son puissant totem. D’un geste vif, il brandit un couteau à la lame acérée au dessus des flammes et entailla trois fois la poitrine de Wolo, le sang perla mais le jeune garçon ne broncha pas.
Gatori présenta alors à Wolo la deuxième boisson. Les litanies rituelles, scandées au rythme des lances et des tambours, s’élevèrent simultanément en une incessante prière. Wolo but lentement le breuvage de l’écuelle sacrée et pénétra une nouvelle fois, dans les contrées de l’impalpable. Le sorcier levant les bras, invoqua les esprits des anciens pour qu’ils viennent à la rencontre de Wolo.
Le jeune homme avait atteint une autre dimension, ses sens décuplés l’étourdissaient, il avait l’impression de chuter dans un vide infini. Il vit au loin une lumière bienveillante, il s’en approchat et soudain la voix des 20 sages résonna pour Wolo .
Mon fils ne te décourage pas !
« C’est en essayant encore et encore que le singe apprend à bondir »
Mon fils ne soit pas trop exigeant !
« La mouche a beau voler elle ne deviendra jamais oiseau »
Mon fils ne soit pas prétentieux !
« Ne jette pas la provision d’eau de ta jarre parce que la pluie s’annonce »
Mon fils montre toi patient !
« La persévérance est un talisman pour la vie »
Mon fils ne soit pas pressé !
« Aller doucement n’empêche pas d’avancer »
Mon fils ne soit pas orgueilleux !
« Ne brandis pas dans l’air le serpent que tu as tué, les autres serpents te guettent »
Mon fils ne soit pas corrompu !
« Quand un homme est lié avec une corde tôt ou tard il la rompt »
Mon fils soit courageux !
« Si tu peux marcher, tu peux danser, si tu peux parler tu peux chanter »
Mon fils soit honnête et franc !
« Le mensonge donne des fleurs mais pas de fruits »
Mon fils prend appui sur ton passé !
« Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens »
Mon fils n’ait pas peur de te tromper !
« L’erreur n’annule pas la valeur de l’effort accompli »
Mon fils ne te décourage pas !
« Si le gnou mange l’herbe, elle continue de pousser »
Mon fils ne refuse pas la main tendue !
« Pour qu’un enfant grandisse il faut tout un village »
Mon fils assume tes actes !
« Le feu qui te brûlera c’est celui auquel tu te chauffes »
Mon fils ne soit pas trop exigeant !
« Le chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter deux chemins à la fois »
Mon fils sois généreux, ouvre ta maison !
« Il n’y a pas de plus grand bonheur que la venue d’un hôte dans la paix et l’Amitiés »
Mon fils répand joies et rires autour de toi !
« Ne te lasse pas de crier la joie d’être en vie et tu n’entendras plus d’autres cris »
Mon fils apprend le silence !
« Quand on a rien à dire il vaut mieux se taire »
Mon fils soit tolérant !
« Ne te fâche pas avec le crocodile avant de traverser la rivière »
Mon fils n’oublie jamais !
« Là ou on s’aime il ne fait jamais nuit »
Les sages avaient délivré leur enseignement à Wolo. Un chemin de vie personnel, unique, puisé dans les innombrables paroles sacrées, adapté à la personnalité du jeune homme et choisit minutieusement en fonction de ses propres qualités et défauts. Désormais, chaque fois que Wolo se perdrait en route, les commandements des sages retentiraient en lui, pour le guider et le remettre sur le droit chemin.
L’esprit des sages libéra le corps de Wolo et une clameur accueillit son retour au monde des mortels. Il était l’heure maintenant de festoyer, de faire honneur aux mets délicieux préparés par les femmes, et que danses et chants voient le soleil se lever sur la savane.
Wolo était désormais un homme !
