Destination : 2 , En route vers l'Afrique.
Nboubou
N’boubou
Je ne connais de l’Afrique que ce que les Hirondelles veulent bien me
raconter quand elles reviennent au printemps prendre possession de leurs
deux pièces sous le toit.
Ce sont des histoires qui bruissent dans les hautes herbes des savanes,
colportées par les alizés indisciplinés, murmurées par les eaux profondes
des fleuves.
L’autre soir, perchées sur la haute poutre du garage, elles laissaient
reposer leurs jolis corps fuselés, ivres de soleil et de vent.
-Sais-tu gazouillèrent-elles pourquoi le lion est le roi des animaux ?
Bien sur que non, je ne savais pas ! Quatre demoiselles délurées, griots
ailées, pépièrent donc, dans la douceur d’un soir de mai, la légende que
voici.
Il y a très longtemps, les animaux de la brousse s’étaient réunis pour
décider qui serait couronné roi de la gente animale. Les candidats furent
fort nombreux. Le serpent Mamba ne supportait pas d’être mis à l’écart.
Personne ne voulait de la candidature de ce sinueux saurien. Il faut vous
dire qu’avant, le serpent avait des pattes, comme les lézards mais un jour
qu’il s’était disputé avec le crocodile, ce dernier avait ouvert une large
gueule et l’avait refermée sans ménagement sur le Mamba. Le placide
hippopotame qui passait son temps à faire des bulles dans l’eau, aimait bien
Mamba.. Il attrapa le bout de queue qui dépassait encore et tira. Mamba y
laissa ses quatre pattes. Il partit donc fort en colère, en se tortillant,
maudissant ces congénères et jurant qu’il se vengerait.
Dans une courbe du fleuve, un petit village abritait le peuple des Uélé-Uélé
une de ces tribus africaines qui répugnent à ôter la vie. Cependant des
hommes partaient de temps en temps à la chasse. Il fallait bien se nourrir !
Toutefois quand ils approchaient d’un troupeau de gazelle ou d’antilope, les
chasseurs entraient en palabre. Ils expliquaient aux troupeaux qu’ils
s’excusaient de devoir tuer l’un d’entre eux mais ils avaient des enfants à
sustenter et des femmes en colère s’ils ne revenaient avec un peu de viande.
Le problème, c’est que les monologues duraient trop longtemps. Très souvent
quand les explications prenaient fin, les bêtes étaient parties et les
chasseurs revenaient bredouilles et confus.
Le jour de la naissance de N’boubou, le fils du chef N’bobo, Mamba vint dans
le village et mordit l’enfant à la jambe. Bizarrement, le bébé ne sembla pas
se ressentir de cette agression qui aurait du lui être fatale. Le sorcier du
village, étonné et inquiet, alla consulter les marabouts. Quand il revint il
apprit à tout le village que N’boubou avait maintenant un don ! N’bobo
devait l’emmener avec lui à la chasse, poser le bambin au sol et palabrer
comme d’habitude.
N’bobo pensait que le sorcier aussi avait été mordu et que ça lui était
monté à la tête mais il ne voulu pas contrarier les âmes des ancêtres qui
avaient parlés et il fut fait comme il avait été dit.
Dans la vaste plaine, les hommes armés de leurs sagaies arrivèrent un matin.
N’bobo posa le bambin et entama les pourparlers avec les dieux des ruminants
Le grand troupeaux commençait à onduler vers la rivière quand une voix pure
monta vers le ciel brumeux. N’boubou chantait. Son petit corps noir et
potelé accroupi dans l’herbe douce, il laissait fuser de sa minuscule bouche
ronde, une mélodie cristalline et sublime. Les bêtes de la savane
s’immobilisèrent, fascinées et hypnotisées par cette mélopée. Les chasseurs
eurent une chasse providentielle et revinrent ce-jour là en vainqueur.
C’est les animaux qui ne furent pas contents. Un nouveau grand conseil fut
réuni et tous furent d’accord : Il fallait faire quelque chose ! C’est alors
que Mamba s’avança :
-Je peux vous délivrer de ce mauvais coup du sort. Si je réussi, vous devrez
me sacrer roi des animaux !
Le crocodile versa des larmes de rage, la hyène se mit à rire, le singe dit
que ça ne serait pas malin mais la gazelle, l’antilope et le zèbre voulurent
négocier. Les pourparlers commencèrent. Ils durèrent des années et des
années. N’boubou grandissait et son chant devenait de plus en plus beau, les
troupeaux de moins en moins nombreux. Les herbivores finirent par gagner et
Mamba fut prié d’arrêter le massacre.
Ce jour là, dans la vaste plaine, même l’hippopotame s’arrêta de faire des
bulles dans l’eau, tous le monde voulait voir le prodige de Mamba.
N’boubou psalmodiait. Les chacals, les lionnes, les gnous, tous écoutaient
fermant à demi les yeux cet aria lumineux. Mamba, le sournois serpent
sinuait dans la savane s’approchant sans souci, quand tout à coup un vieux
et superbe lion se jeta sur l’enfant et l’avala d’un seul coup ! Le silence
fut énorme. Puis, les animaux réveillés détalèrent laissant les pauvres
chasseurs désespérés et Mamba ulcéré.
Au village, N’bobo et son épouse pleurèrent leur fils et maudirent les dieux
des animaux, jurant de ne plus avoir de pitié et de chasser impitoyablement.
Mamba fut relégué au fond des marais et le lion devint roi.
N’bobo voulu savoir pourquoi son fils avait été sacrifié. Il demanda au
sorcier si les ancêtres avaient été offensés par lui ou ses chasseurs mais
le vieil homme très triste secoua la tête négativement et annonça gravement
:
-Le vieux lion était sourd !