Destination : 191 , Mal
dest. 190 : Mal - Un long monologue
Mal - Un long monologue
Longtemps, elle avait gardé secret ce long monologue. Non pas qu'elle veuille aujourd'hui avouer l'inavouable. Elle a tu ce sujet car dès qu'elle tentait de l'aborder, des yeux pleins de colère lui imposaient un silence immédiat. Elle en conclut que c'était un sujet tabou.
Aujourd'hui, pourtant, elle s'octroya le droit de lever le voile sur ce sujet mal-aimé: le mal. Certes pas le mal avec une majuscule débattu par les philosophes, les essayistes et les penseurs, mais le mal avec ses minuscules quotidiens.
Un jour, il a suffit d'un rien, d'un regard ou de son absence, d'un mot ou de son absence, d'un geste ou de son absence pour qu'elle se sentit balayée, ignorée voire anéantie. La confiance en soi et l'estime de soi envolées.
- Envolées où ? Pourquoi ? Par qui ? Par quoi ? se demandait-elle.
Enlevées par un tout petit slogan :« J'ai le droit .... ».
- Étrange, se dit-elle, de réclamer ce droit dans les années 70, alors que les Droits de l'Homme existent depuis 1789.
Certes, la société évolue et l'homme s'adapte, à moins que ce ne soit l'inverse.. Les devoirs inhérents aux droits sont tombés dans une trappe alors qu'une autre s'ouvrait. Sans en avoir l'air, l'apocope avait joué à l'écornifleuse. Dès lors, le mal allait s'épandre sournoisement et s'installer dangereusement.
Un jour, il a suffit d'un rien….de quelque chose ou de son absence pour que tout bascule. Elle a eu mal, très mal du mal qu'on lui avait fait.
D'abord, elle tenta de minimiser, de dédramatiser, de comprendre, d’expliquer, d'endosser la cause et les raisons de ces maux qu'on lui infligeait injustement.
Elle réfléchit, longtemps. Elle lut, beaucoup. Elle écrivit, longuement. Elle consulta, un certain temps.
Elle se dit que c'était bien qu'il y ait des théories et des spécialistes pour comprendre les autres et leurs actes.
Elle se dit que c'était bien qu'il y ait des théories et des spécialistes pour lui expliquer pourquoi elle était si atteinte par ces faits et gestes.
Elle se dit que c'était bien qu'il y ait des théories et des spécialistes pour se guérir et même se prémunir.
Le temps passa. Elle connut d'autres déboires qui lui firent mal. Elle recueillit des confidences de souffrances. Le mal cinglait de ses mille facettes parées de violences verbales, physiques et morales et de manipulations en tous genres.
Un soir de rêverie, elle sursauta. Une idée la traversa telle une météorite.
- Ce n'est pas juste…
Elle alla se coucher.
Le matin, elle se leva, prit son petit déjeuner et appela sa psy en urgence.
Celle-ci lui annonça qu'elle était sa toute dernière patiente. Elle mettait la clé sous le paillasson. Une chance, car ce qu'elle avait à lui dire ne lui plairait peut-être pas.
- Ce n'est pas juste que ce soit la victime qui ait le devoir de tout mettre en œuvre pour aller mieux alors que le bourreau ait le droit de ne pas être inquiété….
La psy éclata d'un grand rire. Elle aussi. Elles refirent le monde en sirotant un café.
© Danielle