Destination : 6 , Coups et douleurs!
Bien fol est qui s'y fie
Les douleurs sont des folles, disait ma grand-mère ardennaise. Autrement dit, il n'était pas question de les écouter. Plus aisé à dire qu'à faire, surtout pour une enfant de quatorze ans.
Il en est une que je n'ai pas su juguler seule, malgré mon application, et qui devait me conduire sur le billard. Depuis près d'un mois, une céphalée récurrente survenait le matin au réveil, pendant les cours, lorsque je faisais mes devoirs ou même à table avec tout le reste de la famille. Un mal insidieux, pas très franc du collier, mais qui de temps à autre cédait la place à des périodes de répit, enfin une douleur « folle », non pas encore en gravité, mais simplement parce que ma grand-mère l'avait décrété ainsi.
Un vendredi matin, alors que je me levais, je constatai qu'une batterie résonnait dans mon cerveau et m'empêchait d'apprécier la confiture de myrtilles et la baguette fraîche, de préparer mon cartable avec logique, de penser tout bêtement. Je laissai échapper une première plainte et eus recours à la pharmacopée familiale pour essayer de neutraliser la démente qui manoeuvrait cet instrument de torture. Ce que je réussis temporairement ! La journée se déroula donc avec prise répétée de comprimés dès le moindre symptôme et confidences geignardes aux amies à l'oreille indulgente.
Je passais une nuit très agitée, le tube et le verre d'eau à portée de main, et m'éveillais épuisée et le chef en proie à tous les outils alignés au-dessus de l'établi de mon père, étau, marteau, vrille, tenailles et autres tout aussi offensifs. Mais le lycée m'appelait et sa grille imposante que je devais passer à l'heure.
Or, le lendemain, la matinée débutait par le cours de Madame Quéreuille, quinquagénaire au corps sec et au regard acéré derrière des carreaux épais, qui me terrorisait. Cette pauvre femme (paix à son âme !) nous enseignait la couture et j'avais une aversion telle pour cette matière que je m'évertuais à arriver le plus souvent possible en retard pour être expédiée en étude.
Cependant, ce jour-là, nul doute pour observer les préceptes de ma grand-mère que j'adorais, j'avais fait le suprême effort d'être ponctuelle et patientais avec mes compagnes dans le corridor devant la classe. C'est alors que, la « folle », ses instruments, ses outils entamèrent un tel charivari dans mon crâne que je ne pus retenir mes larmes. Aussitôt tout un aréopage d'adolescentes m'entoura, s'attendrit et jugea de la marche à suivre. Je fus conduite à l'infirmerie et raccompagnée chez moi. Le médecin diagnostiqua une inflammation de mon appendice qui fut sacrifié dans les jours qui suivirent
De retour trois semaines plus tard, quel ne fut pas mon accablement lorsque j'appris que j'avais été gratifiée par Mme Quéreuille, excédée, d'un zéro de conduite, le seul de toute ma vie scolaire. Un conseil de péronnelles se réunit bientôt et me suggéra d'aller plaider ma cause auprès de la surveillante générale. Je n'eus aucun mal à faire annuler la « bulle », car (pour une fois !), il y avait une excellente et douloureuse raison à mon absence. Ne passa pas pour folle celle qu'on aurait pu croire, ma chère grand-mère.