Destination : 128 , Lierre au texte
MA TANTE MANON
Je marche dans les collines de PAGNOL pour me décrasser de ma vie d'adulte et retrouver un peu de mon enfance. Plus loin le GARLABAN, fier seigneur de pierres, domine mon cheminement.
« J'ai descendu dans mon jardin,
« J'ai descendu dans mon jardin »
Ma tante vivait dans le minuscule village de LA TREILLE, quelques bâtisses longilignes ceinturant affectueusement une fontaine, juste derrière moi tandis que je marche. Je me souviens de son jardin, un modeste rectangle de terre tout en pente, gagné sur la roche. Ma tante économisait sur beaucoup de choses sauf sur l'effort. Son jardin était un potager : on ne regarde pas l'herbe pousser en Provence, la cuisine méridionale est si exigeante en légumes. Je la revoie, la tête protégée par un large chapeau de paille, le dos courbé, les bras découverts, brunis par le soleil puissant, cueillant tomates, salades et haricots et me les tendant comme des pépites d'or.
« Pour y cueillir le romarin »
« Pour y cueillir le romarin
Les buissons touffus de genêts épineux colorent de lumière le paysage tandis qu'au ras du sol, les chênes kermès tricotent à mailles resserrées leur infranchissables barrières. Mon coeur bat trop vite. Je m'allonge dans le thym sauvage. Les abeilles m'ignorent. Les clochettes bleutées du romarin se penchent vers mon visage. Elles semblent dire « Il était temps que tu reviennes, petit ». Les parfums de la garrigue me chavirent et me ragaillardissent tout à la fois.
« J' n'en avais pas cueilli trois brins »
« J' n'en avais pas cueilli trois brins »
La-bas, dans le creux du vallon, comme un large sourire minéral s'étire la grotte de MANON. « Voilà qu'avec le cinéma, mon prénom est à la mode » disait ma tante. La plate-forme naturelle de la grotte accueillait nos pique-niques. Ma tante distribuait le bonheur simple en larges tartines.
« Qu'un rossignol vint sur ma main, qu'un rossignol vint sur ma main,
« Il me dit que les hommes ne valent rien, il me dit que les hommes ne valent rien »
Nous avons laissé mourir seule tante MANON. Nous étions trop occupés à vivre nos vies, réglant nos pas sur ceux du futur. Le passé se montre souvent si encombrant.
Je suis à présent ce vieux monsieur qui se penche péniblement vers l'inscription de la pierre tombale. MANON, AUGUSTINE, ESPERANDIEU. Deux dates. Qui avait fait graver l'épitaphe « Elle aima sans rien réclamer ». Mon père, ma mère, un ami ignoré ? J'ai honte.
Je dépose trois tiges de romarin sauvage.
« J'ai descendu dans mon jardin »
« Pour y cueillir le romarin »
FIN