Destination : 130 , La panne
PANNES EN CASCADE
PANNES EN CASCADE
Première panne : d'oreiller
C'est un rayon de soleil d'hivers, timide mais têtu qui me réveille. Ce n'est absolument pas ce que j'avais planifié : j'ai un train à prendre ! Mon réveil programmable n'a pas fonctionné. Stupeur, panique, colère. Impossible de trouver mon second chausson et ma paire de lunette. La lampe de chevet refuse de donner sa secourable lumière. J'ouvre les volets. Il fait beau. Cela n'apaise pas mon affolement.
Deuxième panne : d'électricité
On frappe avec force à la porte d'entrée. J'ouvre : c'est la voisine de pallier qui m'annonce que tout le quartier est privé d'électricité depuis plusieurs heures. « Un vrai drame ! Plus d'ascenseur ! Comment je vis la situation ? » « Très mal, Madame SIMEONI, très mal : pas de bol de café fumant, pas d'eau chaude et je dois filer à la gare ». Je lui confie l'appartement pour le week-end. Elle devra certainement éponger autour du réfrigérateur, heureusement presque vide.
Troisième panne : de motrice
J'ai trouvé rapidement un taxi mais impossible de me calmer. Le chauffeur est demeuré prudemment silencieux. A la gare : Je dois retrouver mon billet et ma réservation qui refusent de surgir du profond de mon sac, repérer le quai, courir, plus que cinq minutes avant le départ du train. Mais non ! Une heure de retard ! annonce le panneau : panne de motrice. Je suis presque soulagée mais j'ai envie de pleurer. Je m'installe dans le wagon obscur et glacial je parviens à envoyer un message de mon obligeant téléphone portable : Juste une petite heure de retard. Millions de baisers. Je ferme les yeux.
Quatrième panne : d'essence
Je sors souriante de la modeste gare car je sais que je suis attendue par homme que j'aime. Rapide coup d'oeil circulaire. Il n'est pas là ! C'est étrange, quoique ... il est si étourdi, si rêveur, c'est un artiste l'homme que j'aime. Les derniers voyageurs montent dans un car vieillissant dont le moteur aboie avant de s'ébranler. Je consulte la messagerie de mon téléphone. Elle est muette donc tout va bien un simple retard mais j'ai perdu mon sourire. Le café de la gare est ouvert. Je patiente en mangeant des tartines beurrées et en lisant le journal régional de la veille. Pas de catastrophe, pas de crime, pas le moindre petit méfait. C'est à mourir d'ennui. Tandis que lentement je bois mon troisième grand café, la tristesse m'envahit « On vous a oubliée ? » lance mi-moqueur, mi-compatissant le patron. J'acquiesce d'un léger mouvement de tête « Vous allez où ? » « A la ferme des arbous » « Chez l'artiste ! Ça ne m'étonne pas. Un drôle d'oiseau. Il a failli rôtir ses voisins en brûlant des vieilles branches un jour de vent. Heureusement qu'on l'avait à l'oeil. Je vous fiche mon billet que ce cinglé a oublié de remplir le réservoir de sa voiture pourrie». Je ne tente pas de défendre l'homme que j'aime, pourquoi ? « Alexandre, fils ! Va chercher ma commande à la coopérative. Tu en profiteras pour déposer la petite dame aux Arbous.» Et Alexandre apparaît ... Il est d'une beauté à faire oublier toutes les pannes.
Cinquième panne : de coeur
Il y avait longtemps que je n'avais éprouvé une telle émotion. Je dois être toute rouge. J'évite de regarder son magnifique profil. Je bafouille comme une simple d'esprit. Il est professeur d'équitation je trouve que c'est le plus beau métier du monde et je tais la terreur que m'inspirent les chevaux.
Nous arrivons trop rapidement. Je vois l'homme que j'aime traverser la boue pour me rejoindre. Une barbe de quelques jours souligne la maigreur tourmentée de son visage. Il est maculé de gouttelettes de peinture jusque dans sa chevelure hirsute. « Ma biche ! Je savais que tu te débrouillerais ! Je travaille comme un fou. J'ai complètement oublié de passer à la pompe. Je suis désolé.. » Moi je ne le suis pas. Je ne suis plus émue par sa fragilité. « Ma biche » c'est complètement ridicule. Plus il avance, plus je recule. Puis soudain je dis l'irréparable : « Alexandre ! ne descendez pas ma valise, je pars avec vous ». Je n'aime plus l'homme que j'aimais. Cet amour s'est évanoui aussi simplement qu'une bulle de savon.
FIN