Destination : 187 , Animailleurs
La touche finale
"Je vous le dit, en toute sincérité, je ne connais rien à la peinture. Je suis entrée dans l'atelier de ce peintre par pur hasard. Le bonheur et la liberté vibraient à l'unisson dans l'air embaumé par un printemps précoce.
J'étais heureuse. J'allais, je venais en curieuse. Une enivrante envie de me poser sur toute chose, de tout inspecter, de tout posséder. Fenêtres et porte de l'atelier étaient ouvertes comme une invitation à entrer alors, toute frémissante, avec beaucoup de discrétion je me suis glissée dans la paix de l'atelier.
C'est très intéressant de regarder un tableau lorsque l'on ne connait rien à la peinture. On ne voit que les taches sombres et claires qui se chevauchent, se chassent, se poussent, s'épousent et des jaillissements de lumières et d'or. Cela ne représentent rien de réel comme un morceau de viande ou de fromage ou un légume ou un fruit, mais ce n'est pas important, ce qui compte est l'émotion que l'on ressent face au tableau.
Le peintre est là. Bien posé sur l'avant bras sa palette, couverte d'escargots de couleurs claires et vives et dans l'autre main un long pinceau. Il pose vivement une touche de peinture, s'éloigne, regarde longuement, puis revient superposer une autre touche.
Je suis en admiration devant cette chorégraphie qui transforme un tissu grossier, inerte en un coeur palpitant.
Je tourne autour du peintre pour lui signifier combien j'aime son travail.
Lui brusquement s'écrit "Cela ne va pas, cela ne va pas du tout. Il manque quelque chose, quelque chose de fondamental."
Moi je réponds, mais il ne peut m'entendre bien entendu "Mais si maître c'est admirable !" et je tourne, tourne autour de sa tête pour lui prouver mon enthousiasme.
Brusquement tout s'accélère. Je reçois un coup derrière les yeux. C'est la douleur, la nuit, l'effondrement, la chute.
"Sale bête ! Je ne t'ai pas raté !"
"Il m'a encore réveillé. Je dormais bien tranquillement en boule en ronronnant et paf ! il a fallu qu'il tue encore une mouche. Il est plus fort que moi à ce sport. Il ne me donne même pas les cadavres. Il les enrobe de peinture sombre et il les colle sur ses tableaux. Il parait que c'est alors que le tableau est terminé."
Fin