Destination : 147 , Journal malade
Parenthèse
Ce matin, Ambre a les yeux cernés. Elle ne parle pas, elle semble préoccupée. D’habitude, lorsqu’elle refait mon pansement, elle me raconte les mots de Nina, sa petite fille, sur le chemin de l’école. Ou bien elle me parle du parfum des fleurs de son jardin, me dit comment est la mer aujourd’hui. Elle vient de faire tomber une compresse et je devine de l’agacement dans ses gestes. Je n’ose rien lui dire.
De mon lit, je vois le ciel gris et il me semble qu’il bruine. Sur ma tablette est restée ma tasse de café du petit déjeuner. Angèle a encore oublié que je prenais du thé. Cela n’a pas d’importance, je n’en ai pas envie.
J’ai aperçu le sourire de Marina, toute à l’heure. J’espère que ce sera elle qui m’aidera pour la toilette. Elle est si douce et elle sent si bon ! Lorsqu’elle me parle, je ne quitte pas des yeux ses jolies fossettes qui donnent à son visage un air d’enfant espiègle.
Les livres se sont empilés sur ma table de chevet. Il faut que je pense à dire à Marion de les remporter, je les ai tous lus.
Cette nuit, un pli du drap de dessous s’est incrusté dans mon dos et j’ai une sensation de brûlure sous l’omoplate. Parfois, j’aimerai pouvoir me mettre sur le côté, en chien de fusil.
Je place les écouteurs sur mes oreilles, ferme les yeux et me fonds dans la musique. Je m’assoupis.
C’est Mireille qui me réveille de sa voix forte. Elle a déjà préparé mes affaires de toilette sur ma tablette et s’apprête à me savonner le visage avec sa brusquerie habituelle. J’ai juste le temps d’ôter les écouteurs, qu’elle s’active déjà dans mes oreilles. J’émerge de ma courte somnolence, encore mou comme un chiffon, et voilà que Mireille me retourne comme une crêpe pour me laver le dos. A peine m’a-t-elle essuyé qu’elle saisit le flacon d’eau de toilette dont elle actionne allègrement le vaporisateur et m’inonde des effluves de Rochas. Au passage, elle s’en envoie aussi une bouffée dans son décolleté.
La tornade a refait mon lit et a disparu. Je regarde le poster que Marion a épinglé en face de mon lit. Un paysage de montagne qui se reflète dans un lac. Une image sereine, apaisante. Mais le plus souvent, c’est par la fenêtre que mes yeux s’évadent, vers les immeubles, au loin. J’essaye d’imaginer la vie des habitants .
C’est l’heure de François, le kiné. C’est mon moment « entre hommes ». François me relate le match de foot de la veille, fait des commentaires sur l’actualité, parle de politique. J’ai l’impression d’être au bistrot, appuyé sur le zinc. Il m’annonce que demain, on va me verticaliser. Ouf ! Depuis le temps que je vis à l’horizontal. Il m’explique qu’il faut y aller progressivement pour ne pas bousculer l’organisme. Ensuite, je pourrai commencer à faire quelques pas et de la gymnastique dans la piscine. Je demanderai à Marion de m’apporter des vêtements et un maillot de bain. Cela fait trois mois que je vis dans mon lit, en caleçon et tee-shirt.
Moi qui n’aimais pas attendre, j’ai appris la patience. Mes jours sont rythmés par mes attentes. C’est ce qui m’aide à supporter cet état de dépendance que subit tout hospitalisé. La perspective d’un lendemain meilleur. L’espoir d’une évolution dans ma guérison. C’est, chaque jour, un pas en avant. Parfois, pourtant, un pas en arrière. J’ai compris qu’il fallait accepter l’irrégularité des progrès. Ne pas me décourager quand je stagne.
Ce milieu aseptisé est devenu mon univers, avec ses personnages familiers et attachants. Mes habitudes et petites manies donnent un sens à mes journées.
Mais, toutes ces attentes ne font qu’égrener les heures et calmer ma soif de voir Marion ouvrir la porte de ma chambre. Chaque soir, elle passe sa tête par l’ouverture et dit : « Coucou ! » Alors, je lui réponds : « Et à part ça, quoi d’ neuf, docteur ? » avec la voix de Bugs Bunny, et elle éclate de rire. C’est ma bouffée d’air du dehors, d’un monde dont je suis exclu. Marion me parle de son travail, de nos fils, des chats, de la maison. Sa vie continue sans moi. Elle l’a réorganisée en fonction de ses visites au centre. Je suis jaloux de ces moments que je ne partage plus avec elle. J’ai l’impression qu’à mon retour je devrai réapprendre à vivre.