Destination : 147 , Journal malade
Âme soeur
Mercredi 17 novembre 2010
Plantée devant ma télé, je regarde sans le voir le spectacle de variété qui nous est servi ce soir. Une boîte de gâteaux entamée traîne sur la table : je l'attrape et me mets à grignoter sans réelle envie de manger. Il faut tuer le temps !
« Arrête ! »
La voix claque, sèche. Je sursaute et me retourne aussitôt. Personne. M'extirpant vivement de mon canapé, le cœur battant et l'esprit aux aguets, je m'avance dans le couloir, regarde dans la chambre. Je suis seule. Alors d'où vient cette voix ? Elle était si proche et mon appartement est si petit que personne ne peux s'y cacher. Ne reste plus que la télévision dans lequel des rappeurs hurlent leur message. Ça vient forcément d'elle, je ne vois que ça. Rassurée, je l'éteins et, ramassant la pâtisserie tombée sur le siège dans mon affolement, je l'avale rondement.
« Arrête de te goinfrer ! »
Cette fois je n'ai pas rêvé. Mais je ne cherche plus : la voix a résonné, là, directement dans ma tête. Sidérée, je m'assois, les jambes coupées. Suis-je en train de devenir folle ? J'attends un long moment mais plus rien ne vient. La soirée est bien avancée et je suis fatiguée. Il vaut mieux que j'aille me coucher. Tout ira mieux demain.
Jeudi 18 novembre 2010
Contrairement à ce que j'ai pu penser, j'ai bien dormi. Le soleil m'aide à y voir plus clair : je devais être très fatiguée la veille. La journée se passe sans que rien ne vienne la perturber. Rentrée chez moi, le téléphone ne me laisse pas le loisir de choisir mon programme : mes amies ne m'oublient pas. Je passe du rire aux larmes selon les épisodes de chacune et ce n'est que beaucoup plus tard que je me retrouve seule à nouveau. Les péripéties amoureuses de mon entourage ne cessent de m'amuser et je ris en me remémorant certaines de leurs frasques.
« Avoue que tu les envies »
Figée, je reconnais l'intruse. Même tonalité, même proximité. Bien que surprise, je n'ai pas vraiment peur.
Qui es-tu ?
Rien. Aucun retour n'irradie de mon esprit. Je dois savoir pourtant.
Dis-moi qui tu es ?
« Avoue que tu les envies »
De quoi devrais-je les envier ?, répondis-je, entrant dans son jeu.
« De vivre, tout simplement »
Là, elle a marqué un point. Car c'est une voix de femme, sans aucun doute possible. Alors quoi ! Possession ? Folie ? Divagation passagère due au stress ? Voyons si cela peut m'être profitable.
Et que devrais-je faire d'après toi ?
« Tu le sais très bien »
Voilà une réponse qui ne m'avance guère. Perdue dans mes pensées, je décide d'aller me coucher.
Vendredi 19 novembre 2010
Selon un planning bien établi, le temps passe sans accrocs. Je n'ai pas la moindre appréhension. Au contraire, une curiosité, malsaine ou non, me taraude. Je veux en savoir plus sur mon hôte spirituel. De retour à mon domicile, je décide de la considérer comme une personne présente. Je me mets donc à babiller sur tout et n'importe quoi : propos échangés avec les collègues, faits divers professionnels, tout est sujet à la provoquer.
Lucie ! Tu es là ?
Pourquoi Lucie ? C'est sorti tout seul. Je ne connais aucune Lucie, mais il est vrai que j'adore le prénom. Après tout, pourquoi pas ! Le téléphone se met à sonner : je l'ignore. Parler avec elle me semble plus important.
Parle-moi s'il te plaît.
La sonnerie s'interrompt.
« Pourquoi n'as-tu pas répondu ? »
Parce que c'est avec toi que je veux discuter, répondis-je en souriant d'avoir un retour.
« Mais moi je ne suis personne »
Tu es quelqu'un pour moi, Lucie, puisque je t'entends et te parle.
« Pourquoi me donnes-tu un prénom ? »
Je ne le sais pas vraiment. Il est venu tout seul. J'ai cru que ça venait de toi.
« Mais pourquoi celui-ci justement ? »
Je n'en ai aucune idée. Je l'aime, voilà tout. Si un jour j'ai une petite fille, je l'appellerai comme ça, c'est sûr.
D'où me vient cette idée subite d'avoir un enfant ? Encore une nouveauté.
« Ce n'est pas en restant cloîtrée chez toi que tu en auras »
Laisse tomber ! Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Soudain en colère, je veux échapper à la conversation.
« Crois-tu ! »
Laisse-moi, je te dis, répondis-je, agacée.
« Il faudra bien que tu te réveilles un jour »
Les mots prononcés avec résignation, semblent flotter dans la pièce.
Le téléphone sonne à nouveau : je n'y suis pour personne. J'ai besoin de faire le point. Je n'ai pas envie de parler à qui que ce soit de ce qui m'arrive, personne ne comprendrait de toutes façons. Comment dire à mes amies qu'une voix provenant de mon esprit me force à réagir alors qu'elles, n'ont pas pu y arriver ? Serait-elle le fruit de mon instinct de survie ? Si c'est le cas, j'ai tout intérêt à la suivre et à bien y penser, j'ai envie de l'écouter. Voilà tellement longtemps que je vit à travers les récits de mon entourage. L'avenir me semble moins sombre avec elle. Alors pourquoi ne pas me lancer ? Je ne souffrirai pas, cette fois. Forte de sa présence, je pourrais éviter les écueils que la vie dressera devant moi. Me voilà convaincue : Lucie, elle, saura me guider...