Destination : 180 , Objets en chemin
La valse des objets perdus
La valse des objets perdus
Un mercredi après-midi sur la terre :
- Je veux ma grenouille verte, maman !
- Regarde ma chérie, elle doit être là, répondit la mère en pointant une dizaine de grenouilles en plastique, étincelantes de vert, aux pieds de sa fille.
- Mais non, maman, tu sais bien ! La grenouille verte !!
Non, justement, la mère ne savait pas. Et puis, toutes les grenouilles étaient vertes, non ? Alors que voulait sa fille ?
- Tiens, celle-ci, elle est verte, c’est une petite rainette.
- Non, maman. Je veux ma grenouille verte. Celle qui saute avec des points sur le dos. Pas celle-là !
La mère avait envie de piler, hacher, écraser toutes les grenouilles de l’univers. Vertes ou non. D’ailleurs, elle en raffolait des petites cuisses goûteuses aillées, persillées… Mais dans un sourire, elle répondit :
- Et si nous allions au lac, on en verrait peut-être des grenouilles vertes… Et des vraies !
Le lendemain, 7H45 :
- Maman, maman, je ne retrouve plus mes baskets. Mamaaan… !!
Le dernier « maman » était rempli d’exaspération. Et pourtant. Ce mot si doux. Un de ses premiers. Elle se souvenait de cette bouche adorable qui trébuchait sur les syllabes ; « Ma…ma…na » Et puis un soir de grand bonheur, ce fut « Maman ». Oui, après tant d’essais, d’hésitations, de répétitions, le mot avait franchi ses lèvres et son regard accompagnait l’appel, émouvant. Et maintenant, il crachait ce mot si attendu. Alors, elle répondit :
- Tu aurais dû préparer tes affaires hier soir.
- Mais maman, si je ne les ai pas, je vais avoir une heure de colle. S’il te plait, maman.
Cette fois-ci, le mot était implorant, presque chuchoté et toujours accompagné de ce regard auquel elle ne savait résister. Alors oui, elle se souvint. Les chaussures en question avaient séjourné quatre jours dans l’entrée jusqu’à ce qu’elle se décide à les mettre à leur place. Et voilà les baskets aussitôt sorties, aussitôt embarquées par ce jeune collégien étourdi.
Le soir même, le coucher du bébé :
Un cri stria les tympans du bébé presque couché, presque endormi après le cérémonial du soir, petite histoire, câlin, berceuse puis câlin, bisou… et alerta la maisonnée. La mère grondait, attention à la houle !
- Mais qui a pris le doudou ??
Oui, l’objet transitionnel nécessaire au sommeil du dernier-né et qui assurait la sérénité de tous avait disparu. Quel était le coupable ? Chacun déroulait le film de sa journée pour retrouver le moment crucial. Et les regards convergeaient vers la fillette de cinq ans, vous savez celle des grenouilles vertes. D’ailleurs elle en tenait une en main, mais pas de doudou… Alors les portes claquèrent, les cris s’envolèrent dans les aigus jusqu’à ce que la mère entende le souffle régulier et tourne la tête vers son bébé… endormi. Elle sortit de la chambre en marchant sur du velours, le cœur affolé et soulagé, lorsqu’elle entendit :
- Tu n’aurais pas vu mes lunettes, par hasard ?
Non, par hasard, elle n’avait pas vu les lunettes, sa femme. Et elle ne se promenait pas avec un détecteur pour dénicher grenouille verte, baskets, doudou ou lunettes de son chéri. Et puis, il y avait bien un vide-grenier le dimanche suivant. Et si elle mettait tous ces objets dans une grande caisse avec la pancarte « GRATUITS » ?!