Destination : 102 , Traces...
Tourisme interplanétaire
Le petit homme ne comprenait pas : il aurait dû arriver sur une planète pleine de vie et très bien organisée, la Terre est un site touristique très fréquenté et très prisé les touristes interplanétaires. Lui, il voulait visiter les villes pleines de lumière, découvrir les musées où s’exposent ces superbes sculptures de l’époque Antique, ces masques venus des toutes premières civilisations, il voulait recevoir cette émotion esthétique dont il rêvait depuis si longtemps. Enfin pouvoir admirer la Joconde en tête à tête, lui sourire et croire qu’elle clignait de l’œil en le regardant, pouvoir participer à la naissance du printemps en se cachant dans les cheveux des graciles silhouettes, se croire en train de vivre une révolution auprès de monsieur Eugène, être atterré par la barbarie humaine peinte par un Pablo révolté, se laisser aller à la sensualité du fauvisme, se perdre dans les labyrinthes des dadaïstes mais non rien ne semblait possible maintenant. Les musées étaient fermés et Paris ne l’attendait pas, pas plus que New York ou Florence, Sydney ou Londres.
De chez lui, il apercevait la pointe des Pyramides de Gizeh et le sillon de la Grande Muraille, maintenant il allait pouvoir en faire le tour en marchant, se reposer à l’ombre de l’une d’elles avant de repartir dans son véhicule intergalactique pour déambuler le long de cette mythique Grande Muraille. Mais non, impossible pour l’instant, impossible de s’approcher de ces incroyables constructions ; il pourrait quand même aller admirer les pagodes d’Argent et Wat Phnom, les temples Ta Prohm et Ta Keo au Cambodge ? Et là non plus ce n’était pas possible…
La côte bretonne et un peu plus haut les falaises d’Etretat, ça c’est possible quand même ? Certes c’est très beau, enfin c’est ce qu’il se disait en voyant les photos satellites mais c’est nettement moins célèbre donc les touristes n’y affluent pas en aussi grand nombre, il y a forcément de la place ! Non, là non plus ce n’est pas possible !...
Bon alors, le Colorado, la ville de San Luis, ses parcs nationaux, ses grands canyons et ses Grandes Rocheuses, les grands espaces du Canada, le Yukon et les lacs du Sud puis remonter vers la région de Kluane et finir tout au Nord sur le territoire des Inuvialiuit? Pas maintenant, pas possible. La Banquise peut être ? Comment elle non plus ne peut être visitée en cette période ??!!
Rien de tout cela n’avait subsisté lui expliqua enfin ce couple fatigué, aux cheveux en filasse, au teint incertain, aux grands yeux délavés, aux corps tordus et efflanqués auquel il s’adressait depuis bientôt une demi heure. Il avait atterri là, dans ce qui avait dû être un jardin et voulait absolument regagner au plus vite la station d’atterrissage intergalactique, son confort, ses hôtels et ses agences de voyages capables de vous organiser en un rien de temps, un circuit touristique basé sur la découverte des merveilles de la planète Terre. On pouvait même envisager un hébergement chez l’habitant, le fin du fin pour comprendre comment vivaient ces étranges terriens. Mais ces drôles de personnes étaient en train de lui apprendre que la planète terre était vidée de ses habitants et de tout ce qui la recouvrait.
Une sombre histoire d’imprudence et de sentiment de supériorité exacerbée avait détruit le contenu de la planète Terre.
Tout s’était accéléré quand les gouvernements des différents pays avaient refusé de s’accorder pour stopper la production et l’utilisation des Douze Salopards. C’est ainsi que certains appelaient alors les Polluants Organiques Persistants, ces sympathiques molécules qui ne se dégradent pas de façon naturelle, bien au contraire puisqu’ elles se concentrent un peu plus à chaque voyage dans la chaîne alimentaire ; s’accumulant ainsi dans les tissus vivants et se déplaçant bien loin de leur zone de production.
Les poissons des rivières ont commencé à mourir, ils se sont mis à flotter en masse à la surface de tous les fleuves et rivières, lacs et bassins d’élevage, en quelques jours les poissons d’eau douce avaient disparus laissant une odeur pestilentielle autour d’eux. Les fleuves et rivières recouverts de sédiments et de putréfaction ont infectés tous les champs alentours et en quelques mois les fruits et légumes disparaissaient à leur tour, les céréales ne poussaient plus, elles étaient impropres à la consommation et empoisonnaient les gens. Les fleuves et rivières se déversent dans la mer et les océans, ils les polluèrent donc, détruisant toute source de vie à l’intérieur.
Les habitants qui n’étaient pas morts de faim commencèrent à s’entretuer et bientôt à l’odeur de pourriture animale et végétale qui déjà rendait irrespirable l’air vicié de la planète, s’ajouta une odeur âcre de sang se desséchant à l’air libre.
En quelques mois la planète ne comptait presque plus d’êtres vivants, les premiers touchés furent ceux des grandes villes car ils dépendaient des campagnes pour leur subsistance alimentaire. Inquiets, peu habitués aux périodes de disette, les citadins se mirent à crier et manifester. Comme rien ne changeait, ils se livrèrent à des scènes d’émeutes, détruisant ainsi la majorité des installations électriques, entrainant d’immenses incendies (lesquels renforcèrent la pollution aux dioxydes) brisant des tableaux, fracassant des statues ; ils n’épargnèrent rien dans leur colère et leur désespoir. Ils tentèrent même de manger les herbes des jardins publics, les animaux des zoos mais ils moururent avec eux.
Le même phénomène se répandit bientôt en campagne, la diffusion de la panique fut à peine ralentie par la quantité de ressources qui s’y trouvait. Les citadins les plus vigoureux se souvinrent alors de leurs cousins de la campagne et voulurent leur rendre visite. Ils se jetèrent en masse dans des trains qui n’allaient plus nulle part, se jetèrent alors sur les routes avec leurs véhicules écologiques, mais les ruraux et les paysans, pour une fois s’entendirent et les massacrèrent avant qu’ils n’aient pu accéder à leurs champs ou leurs potagers. Partout dans le monde se produisirent au même moment, émeutes, pillages et massacres. Dans les contrées les plus reculées, les mêmes scènes se produisirent jusqu’à la disparation de toute espèce humaine. Les douze salopards avaient l’espérance de vie la plus longue, ils voyageaient sans problème et peu à peu détruisirent toute forme de vie. Seule une petite communauté reculée sur la péninsule de Tjörnes au Nord Est de l’Islande semblait avoir échappée aux épidémies et massacres. C’est là que s’était posée la navette intergalactique du Saturnien. Et maintenant, il pleurait, il pleurait car après toutes ses années de dur labeur sur sa planète, il avait enfin pu s’offrir le voyage de ses rêves, seulement il était trop tard.
Emus par son désespoir, le couple d’islandais, l’entoura des ses maigres bras et l’entraina dans leur modeste habitation. D’un geste de la tête, ils lui montrèrent les bulles de savon qui flottaient au dessus d’eux. Elles contenaient quelques tableaux et sculptures de toutes les époques et de tous les pays, des morceaux de terre sur lesquels vivaient en totale autarcie des peuples de toutes les régions du monde, de l’eau douce et de l’eau salée dans lesquelles s’égayaient toutes sortes de poissons et autres animaux aquatiques.
« Ces bulles attendent que nous ayons dépollué cette péninsule et nos esprits pour laisser à nouveau s’échapper la vie qu’elles contiennent », expliquèrent les terriens à leur visiteur inattendu.
Le saturnien sécha ses larmes, retroussa ses manches et demanda où se trouvaient les outils de dépollution.