Destination : 7 , Objet banal mais capital.
Objets inanimés
Objets inanimés, avez-vous une âme ?
Penchée au-dessus d'une tablette de chocolat noir aux
éclats de fèves de cacao, j'écoute ses plaintes et ses cris. Elle me
déteste. Elle me traite de vorace, de tueuse, de sans coeur. Du coeur,
j'en ai, pour preuve, j'abrège ses souffrances d'un coup de dent sec
et précis.
Je crois à une entente complice entre les aliments entreposés
chez moi. Qu'ils soient dans le réfrigérateur -Ah, mes
tendres yaourts aux fruits-, ou dans des corbeilles d'osier -Oh, mes
jolis raisins blonds et juteux-, tous me craignent et me désignent
entre eux comme une goulue... Conspiration !
Heureusement, hormis ces fâcheux, mes autres compagnons
inanimés sont plutôt tendres à mon égard. Les saris de soie colorée
pendus aux murs soupirent lorsque je les frôle, se lamentant de
n'égaler qu'avec peine la douceur de ma peau dorée. Le piano murmure
à mon approche, réclamant la caresse de mes mains. Mes baskets
sautillent dans l'entrée, avides d'une longue course en sous-bois,
avides de la morsure du sable sous leurs semelles, des éclaboussures
d'eau, de boue, dans cette saison mourante. Les murmures des objets
de ma maison sont la musique de fond de mes jours et de mes nuits.
Il en est un dont l'affection est particulièrement intense :
mon lit. Un peu bourru parfois, il grogne, il grince lorsque je
m'assois, pestant sans conviction de ce poids qui lui vient sur le
ventre. Mais aussitôt, il m'enlace dans ses draps, glisse un oreiller
sous ma tête, il se fait chaud, il se moule à mon corps, à mes
formes, pour mieux m'accueillir. Vous entendriez les mots qu'il
susurre à mon oreille ! Je les écoute, je les tète, et je m'endors
bercée par cette voix intime... Je m'endors avec la certitude
réconfortante d'être aimée.