Destination : 64 , Le geste à la parole


Le clochard

Le clochard

Encore là ce matin ! Comme tous les matins depuis 6 mois, enveloppé dans sa vieille couverture écossaisse, je le vois aujourd'hui assis par terre, le dos appuyé contre le mur en face l'arrêt de bus, ses longues jambes étalées devant lui.
D'habitude, je ne fais que l'apercevoir debout près de la grille à peine ouverte du bastringue d'en face, où le bristrotier lui offre chaque jour son petit-déjeuner. Ce matin, je comptais bien prendre le bus plus tôt pour terminer un boulot de la veille, mais il m'a filé sous le nez, alors j'attends le suivant et je l'observe.
Il replie soigneusement les cartons et journaux qui ont dû servir de chambre à coucher, regroupe près de son sac à dos troué les ustensiles oxydés qui ont servi à son repas de la veille. Il oublie de ramasser un fond de boîte à camembert.
De l'intérieur de son sac, il sort une grosse boîte métallique, décorée de papillons rouges et bleus sur fond jaune. De sa main gauche, il la serre contre lui pendant que sa main droite soulève le couvercle. Il en retire un petit paquet qui ressemble à un jeu de cartes à jouer mais qui doivent être des photos, dépose la boîte sur sa gauche et enlève délicatement l'élastique qui les tenaient groupées.
Son regard se pose sur la première, la contemple longuement et la glisse sous le paquet tenu par sa main gauche. Par moment, son attention se porte sur le bout de ses gros godillots en toile marron lacés par des bouts de ficelle beige, puis revient à sa contemplation. De temps à autre, il lève les yeux vers un passant qui le croise, lui fait un salut du tranchant de la main droite et retourne à son occupation.
Un chien roux à poils ras s'approche de lui, s'arrête près de son sac qu'il renifle. Il regarde l'animal, lui dit quelques mots, dépose ses cartes sur le couvercle de la boîte et fouille dans son sac. Il en sort un quignon de pain, le tend à la bête qui le saisit dans sa gueule en remuant la queue et reprend son errance.
Avec son visage ridé aux yeux délavés, à la barbe grisonnante et hisurte, ses cheveux en bataille blanc-jaunâtre qui s'échappent de son chapeau noir, on le dirait sans âge. Mais la finesse de ses traits et celle de ses mains, le font paraître beau.
Lentement, il se redresse, s'ébroue et entame une série de mouvements de yoga ou autre gymnastique asiatique, indifférent aux sourires narquois de ceux qui s'arrêtent pour l'observer.
Un mouvement rapide effraye un groupe de pigeons et de moineaux qui picoraient à quelques pas de lui. Dans un froufroutement d'ailes, ils viennent se poser près de l'abri-bus où je me trouve, sur le trottoir d'en face. D'une démarche saccadée pour les pigeons, sautillante pour les moineaux, ils reprennent leur quête de nourriture.
Sous sa couverture et avec son châpeau avachi, ses gestes le font ressembler à un grand épouvantail agité par le vent. La rue s'anime peu à peu, une femme le bouscule d'un air grognon, sans s'excuser. Il perd un peu l'équilibre, se redresse et la regarde s'éloigner en hochant la tête. Puis il reprend ses mouvements comme si de rien n'était, même pas interrompu par les bruits de cirulation.
Un camion de livraison s'arrête le long du trottoir et je ne le vois plus pendant plusieurs minutes. Lorsque le camion repart, il s'est assis accroupi maintenant, serrant contre lui son sac à dos, il a du y ranger sa boîte metallique, je ne la vois plus. Les cartons et journaux sont entassés près d'une poubelle.
Il regarde les gens passer devant lui, tous semblent pressés ; certains lui adressent un sourire, d'autres quelques mots, il leur répond avec gentillesse. Et bien qu'il ne tende pas la main, les plus généreux lui glissent quelques pièces dans la boîte à camembert oubliée près de lui, ils les remercie en soulevant son châpeau.
Sept heures sonnent à un clocher que l'on n'aperçoit pas, pour lui c'est un signal car le voilà à nouveau debout, toujours enveloppé de sa couverture écossaise qui s'approche à longues enjambées de la grille du bistrot.
Un souvenir d'élégance lui fait défroisser son pantalon de couleur indéfinissable, du revers da sa longue main. Maintenant le rideau remonte dans un bruit de ferraille, le bistrotier en le voyant lui adresse quelques mots, pénêtre dans le bar et en ressort avec un sachet plastique vert bien garni en apparence.
L'homme le remercie, se retourne et nos regards se croisent... mon bus arrive !

Mady