Destination : 66 , Cri
Demain
En arrivant ce matin au siège de mon canard, « Le Furibard Consterné », voilà que je croise le rédac-chef : « Dans mon bureau, illico presto, Cocotte. Pour les politesses, on verra après... » me dit-t-il, en guise de salut, sans même un compliment sur mon nouveau tailleur des 3Suisses. Bête et disciplinée, je le suis et sans préambule, il m'annonce :
« Pour le prochain hebdo, on entame une série de chroniques sur toutes les peurs, alors ma vieille au boulot ! Tu as trois jours pour me pondre quelque chose là-dessus... mais attention !!! Aux petits oignons, hein ! Pas du baclé, tu développes un max et tu m'écris ça dans un vocabulaire choisi, genre... qui tu veux, pourvu que ce soit lisible par tous ! Si tu râtes, je t'expédie à la rubrique Courrier des Lecteurs , tu t'expliqueras avec eux ! »
Peurs... toutes les peurs... pas facile ! A part de lui, lorsqu'il a sa gueule des mauvais jours, je n'ai pas peur de grand'chose !
A court d'inspiration sur le sujet, je me plonge dans les archives de mon cher canard. S'il est une caverne d'Ali Baba de la peur, c'est l'endroit idéal. Mais parmi toutes celles étalées en gros tîtres, toutes ses petites et grandes misères humaines, le choix s'avère difficile... Me faut-il résumer ou choisir ?
Après une longue réflexion et plusieurs tentatives d'écriture, je me dis : "Mais, nom d'une pipe, t'es aussi trouillarde que les autres ! Alors ?" Alors, au fil de mes lectures j'ai fini par comprendre que ma terreur se situe ailleurs et tout près, qu'elle est actuelle et permanente : c'est le monde d'aujourd'hui qui prépare si mal celui de demain !
Extraites du contexte faits-divers relatés par mes confrères, ces tragédies humaines parlent à ma révolte, elles lui disent : « voilà le mal qu'une partie de l'humanité peut infliger à l'autre, en toute inconscience, en toute impunité ! » Et toi ? Que fais-tu ? ... pour l'instant, la chronique.
La première image qui m'interpelle est une photo instantanée, dans la page « Société ». Elle a été prise lors du dernier hiver, un des plus rigoureux de ces vingt dernières années. Un groupe d'individus des deux sexes s'agglutine devant un braséro de
« La misère au quotidien pour les sans-abri du quartier de... , chaque année plus nombreux ».
Parmi ces visages, quelques uns me frappent en plein coeur. Ce gamin par exemple, qui sourit au premier plan, il pourrait être mon fils... et une observation plus attentive, m'en fait appraître plusieurs, tous jeunes, TROP jeunes... « chaque année plus nombreux »... quel avenir pour un pays quand sa jeunesse est à la rue, sans aucune perspective ?
...Effrayant, de constater, qu'en ce début de troisième millénaire, la misère existe encore, que des gens, des très jeunes en plus, dorment à la belle étoile, sous un ciel sans étoiles justement.
Et pourtant, elles brillent les étoiles. En tout cas, pour certains elles ne s'éteignent jamais, A preuve, cet article AFP :
« Le roi du Swaziland achète dix nouvelles BMW pour ses épouses
[13/02 - 14h22]
Le roi du Swaziland, Mswati III, 36 ans, dont le petit pays est ravagé par le sida et la pauvreté, vient d'acheter dix nouvelles BMW pour ses épouses, deux mois après avoir déjà acquis une limousine d'un demi-million de dollars, annonce un journal dimanche.
Le dernier monarque absolu d'Afrique a dépensé cinq millions d'emalangeni (820.000 dollars, 635.000 euros) pour acquérir 10 BMW série cinq destinées à ses épouses, indique le Times de Mbabane. »
Il n'est qu'un parmi tant d'autres...
...Effrayant, cet étalement de richesses réservées à un tout petit nombre, alors que le dixième de ce que possède un seul dentre eux permettrait à deux milliards d'humains de vivre décemment.
Je continue ma recherche. Cette fois, il est question d'élections devant avoir lieu... évidemment, l'enjeu est énorme : la Présidence.
Le programme des candidats est alléchant, que des promesses !!!
On dirait que le Pays est devant l'étalage d'une pâtisserie géante : pleins de bonne choses pour tout le monde, mais condition suprême : « votez pour moi » !
L'honnêteté morale voudrait qu'ils précisent : « votez pour nous », car ce n'est pas à un individu que l'on donne notre confiance, c'est à tous ceux qui gravitent autour de lui et qui estiment avoir autant de pouvoir que lui.
Bien entendu, ils se servent d'abord sans oublier aucun des leurs. Quant au peuple, il se contentera d'une tarte à la crème. « Les promesses... les promesses... n'engagent que ceux qui les reçoivent ! » ou bien « entre ce que nous disons et ce que nous faisons »... Souvenez-vous !
Et encore, sommes-nous dans un pays dit « civilisé », que dire des républiques bananières dont les petits chefs auto-proclamés de pays extrêmement pauvres, détournent à leur profit les aides de nos pays dits « riches », tout en nous renvoyant sans aucun scrupule, la responsabilité de la misère de leurs peuples !
....Effrayant, de se dire que le destin d'un peuple ne dépend que d'un homme et de ses amis, hypnotisés qu'ils sont par ce mot " pouvoir" !
Pour nous, c'est différent. Nous avons une Constitution et une Déclaration des Droits de l'Homme. Du temps de sa création, la femme ne devait pas exister. Pour ne pas m'écarter du sujet, je reprends un article de cette Déclaration :
« Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »
J'ai bien lu ? J'ai bien compris ? La Nation, c'est tout le monde, pas un parti de droite, pas un parti de gauche. Et tout le monde, ça commence par le Français de base, jusqu'à celui des « hautes sphères ». La démocratie (comme ils disent), voudrait que chaque catégorie sociale, du plus petit au plus grand, soit représentée.
Or, qui retrouvons-nous en tête de listes ? Essentiellement des professions libérales : toubibs, avocats, chefs de grandes entreprises, des intellos bien en vue et soi-disant « engagés », des fils de bourges issus de grandes écoles. L'honnêteté m'oblige à reconnaître que les autres n'ont ni le temps, ni l'argent pour subventionner une campagne électorale.
Pas étonnant alors que tous ces « élus » s'abritent derrière des Lois qu'ils ont pondues, pour s'octroyer des Droits qui imposent des Devoirs aux autres.
...Effrayant, leur aveuglement, leur indifférence aux besoins des humbles, des modestes, pour n'écouter et ne voir que ceux qui font valoir "leurs droits", sans se préoccuper de leurs devoirs !
Au hazard de ma recherche, je tombe sur une page d'actualité brûlante :
« Agriculteurs en colère » : des tonnes de fruits et légumes sur la chaussée, pour protester contre la baisse de prix des carottes, en raison de la surproduction. C'est un exemple, il y en a tant (les fruits déjà chers pour le consommateur moyen) ! Mon sens de l'humour m'amènerait à dire : « qu'ils les bouffent leurs carottes, d'autant plus que ça rend aimable », mais quand je vois chaque jour des reportages sur la malnutrition... j'enrage !!!!!!!
Je me suis faite traiter de « misérabilisite », n'est-ce pas misérable qu'une catégorie sociale assurée de ne jamais mourir de faim, méprise tellement les produits de sa terre, qu'elle préfère les détruire plutôt que de les offrir à ceux qui n'ont même pas un mètre carré à eux ?
Même l'eau maintenant ! Oui, l'eau, les nappes phréatiques polluées par une surabondance de produits chimiques déversés sur les cultures qui rendent l'eau du robinet inconsommable. Tout le monde sait d'où vient le mal, particulièrement nos politiques. Mais pas question d'enquiquinner ces « pauvres paysans », on risquerait de se retrouver avec du purin devant les Préfectures, quand ce n'est pas devant le Ministère lui-même !
Je porte mon choix sur cette catégorie, parce qu'elle représente le manque dont souffre la plus grande partie du Monde, mais il y en a beaucoup d'autres...
....Effrayant, de constater que, lorsqu'il y a révolte, elle n'émane que de ceux qui ont déjà, pour avoir encore plus !
Ma quête à la trouille continue, pour arriver à un « compte-rendu » de Justice. Dans mon imaginaire, le symbole de la Justice est une grande et belle dame aux yeux bandés, qui tient une balance. Pourtant, si on la regarde attentivement, on s'aperçoit qu'elle frissonne...Et dans le « compte-rendu » que je lis, je me dis qu'effectivement, elle doit être aveugle sinon, comment ne s'est-elle pas « rendu compte » qu'il lui faudrait peut-être vérifier sa balance.
En effet, et ce n'est qu'un tout petit exemple : un pauvre bougre d'imbécile de chômeur, si cela peut expliquer son geste, a eu la bêtise de « kidnaper » contre rançon, le clébard enrubanné d'une fi-fille à son papa, lequel huissier « de » Justice dans le civil. Evidemment le « pas malin » s'est fait prendre, la police a bien fait son travail. On le retrouve devant un tribunal et la sanction ne se fait pas attendre : même pour avoir un peu de sous pour manger, il n'avait bien sûr pas le droit. Sentence : 3 mois de prison ferme.
Sur cette même page et par le même tribunal : un chauffard imbibé perd le contrôle de son véhicule et vient heurter sur la voie cyclable, un gosse de 14 ans qui chute de son vélo et se blesse mortellement.
Le chauffard prend la fuite et c'est une dénonciation qui permet de l'arrêter une dizaine de jours après. Sanction du Tribunal : 3 mois AVEC SURSIS ! Il faut bien dire que le papa du gamin n'avait pas de profession utile à la Justice, ni prestige inffluent. N'y a-t-il pas de quoi avoir une sainte frousse ?
...Effrayant, cette Justice frileuse qui craint tant le "puissant", dont la devise est : "Suivant que vous soyez, puissant ou misérable, la Justice vous rendra blanc ou noir !"
Et maintenant, abordons la rubrique Société. Ce jour-là, il était question de « progrès dans la communication » ! Je t'en fiche ! C'est un vaste programme la communication : d'abord, il y a l'échange par la parole entre deux ou plusieurs individus qui transmettent et se transmettent, cela existe depuis la nuit des temps. Ensuite et simultanément, il y a l'écriture.
Depuis un siècle au moins, il y a le bigophone, plus élégamment appelé téléphone pendant très longtemps. Aujourd'hui, on l'appelle « portable » et vu le nombre en circulation, notre environnement est pollué par des bip-bip, des « Marseillaises en breton », des « Vlan, passe-moi l'éponge »... chacun y va de sa personnalité pour se rendre le plus original possible dans le moyen de se faire remarquer.
Et quand on est « forcé » d'écouter malgré soi, on entend des : « je t'appelle pour te dire que te je rappelerai ce soir ! ». C'est le progrès ! Avant, on allait directement chez l'interlocuteur.
Le progrès nous a donné aussi l'ordinateur. Là, je reconnais que l'utilité de cet engin ne fait aucun doute, quand il est bien utilisé. Mais hélas, à présent il sert essentiellement à un usage mercantile et quant à la communication... bien souvent douteuse !
Comme les autres, j'y ai cru ! J'en suis revenue. En dehors de quelques vraies utilités, il est le rendez-vous de tout les détraqués de la terre, tous ceux pour qui communiquer veut dire : ne parler que de soi, affermir son ego. Dommage !
Quant à la télévision, bel engin aussi au départ, qui devait servir à l'information et à la culture... Ce fut vrai et ça l'est encore à de rares fois.
En principe, vu qu'on trouve une télé dans tous les foyers de la Planète, même là où il n'y a pas d'électricité (???), on se dit que cette fenêtre ouverte sur la modernité et le confort permet à l'esprit de s'ouvrir, eh bien non !!!
A croire que des intérêts plus forts poussent certains chefs de peuplades à imposer par la terreur, les traditions et la misère du Moyen-Âge. Pendant que eux vont en jet privé se plonger dans les miasmes du progrès, leurs gens se perdent dans les miasmes de leurs croyances et diabolisent tout ce qui représente « le progrès », le vrai, celui de l'avancée humaine, je veux croire qu'elle existe en dépit de tout.
...Effrayant, de vivre une époque dite de "communication" et de "progrès", alors que le Moyen Âge est encore à nos portes...
Je continue ma course à la peur... à l'horreur cette fois. Un enfant battu depuis sa naissance, élevé comme un animal dans une porcherie (sens propre)... personne dans son entourage n'a bougé le petit doigt. Mais il n'y a pas que lui, c'est également le cas d'un attardé mental, d'une vieille dame, et de tant d'autres.
Lorsque ils ont été découverts, personne alentours ne soupçonnait jamais rien. Et pourtant ces gens pour la plupart, dépendaient de services dits « sociaux ».
Personne ne se parle plus, chacun se cantonne devant ses écrans, télé, ordi. Personne ne s'intéresse plus à personne, on ne regarde plus l'autre, on ne l'écoute plus. Nous sommes devenus des numéros de dossiers informatiques, classés par tranche d'âge et nos appels ne sont plus entendus que par des voix métalliques et sans âme.
Est-ce cela la communication, le progrès, alors que...
...la solitude et l'indifférence tuent les plus fragiles d'entre nous !
Compte tenu de ce qui précède, la suite confirme cette indifférence chronique, nous vivons l'époque du « culte de soi ». Tout nous y invite, tant la publicité que les magasines à la mode, sans oublier bien sûr cette « diffuseuse » de fleurs vénéneuses qu'est la télévision.
Le plaisir, son plaisir avant toute chose. S'enrichir par tous les moyens. Entretenir son corps au détriment de son intelligence : le Q prime sur le QI. La normalité est devenue marginale quand on ne suit pas les modèles imposés par les médias de tous poils, on est taxé d'intolérance.
Même le langage a changé. En même temps que les tours de tailles ou de fesses, on réduit également l'expression orale. Et ce qui me paraît grave, c'est que les cerveaux eux aussi se résumeront bientôt à la taille d'une puce électronique !
Il y a plus d'esprit dans l'oeil de ma perruche que dans celui de beaucoup d'êtres humains ! Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, on ne vous demande plus de penser, on pense pour vous, on décide pour vous de ce qui est bien ou de ce qui est mal.
Petit-à-petit, tout se déconnecte des valeurs sûres, puisqu'il suffit d'un physique avantageux, d'un filet de voix, d'un talent sportif pour se voir propulsé dans les sphères de la médiatisation, du succès et de la fortune. Ce sont eux les vrais dirigeants !
...Effrayant, de voir le culte du superficiel, du frelaté, gagner en importance par la voix des "gourous" qu'on appelle Médias !
Comment finir sur une note d'espoir ? Ce survol rapide du pays de la peur me laisse entrevoir des lendemains peu enchanteurs. Se dire que demain peut-être, un lofteur, un star'ac, ou un footeux sera le décideur de mes enfants... j'en ai des sueurs froides ! Et je ne suis pas plus rassurée par les autres.
...Effrayant, de penser au misérabilisme moral qui s'installe, et que demain ce sont les nuls qui seront rois !
.Effrayant... effrayant... tu t'appelles "La Planète Bleue", ce joli nom, tu le mérites, mais sont-ils vraiment dignes de toi ?
Vois-tu ma belle, je m'interroge et m'inquiète...
Ma vraie peur ? C'est demain...
Mady- Mars/Avril 2005