Destination : 89 , Afer Adagium
"Il n'y a pas de petit incendie"
Il s'est éteint. Au même instant un grand incendie s'élevait au-dessus de la ville.
Ses mots, tous ses mots, récoltés durant ses longues années de vie s'enflammaient entraînant à leur suite un chapelet d'images. Il y avait là hyènes, crocodiles, singes, chauve-souris, marabouts, lions, tous animaux d'Afrique. Il y avait aussi les hommes, l'ensemble du peuple Peul venu du côté où le soleil se lève, à l'autre bout du continent. Les cendres parviendront-elles à relier le lointain royaume de la reine de Saba et l'ancien empire Macina, dans la boucle du Niger ?
Les sables ont recouvert les pâturages, le soleil a tout grillé.
Et l'eau ?
Juste quelques larmes salées pour pleurer.
Il est mort.
Durant sa longue vie il a engrangé tout un savoir récolté à l'ombre du baobab. Tant d'histoires colportées, de palabres maintes fois rabâchées : maximes, morales, règles de vie, initiation, éducation.
Rien n'est laissé au hasard, chaque chose a son explication, son éclairage.
Sa mémoire, un grenier de symboles et d'images unis afin de souligner les défauts des uns et des autres.
Il a apprivoisé les mots, élevé les pensées, conduit un train de réflexions.
Le XXe siècle allait vite, très vite, rien de pouvait arrêter cette marche effrénée qui balayait les traditions, brisait l'oralité.
Alors il a posé sur le papier ses mots, les contes, les messages des anciens, ses souvenirs, et bien plus encore.
Aujourd'hui le vieillard n'est plus, mais Amkoullel, l'enfant peul*, l'enfant de Bandiagara, est toujours vivant, ses livres garnissent les rayonnages des bibliothèques, pas seulement au Mali, en France aussi.
Celui qui s'est écrié haut et fort, à la tribune de l'UNESCO « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » a eu raison du grand incendie.
* Amadou Hampâté Bâ
Mireille le 17 juin 2007