Destination : 96 , Mac Guffin littéraire
Sapote et Mambolo
Sapote et Mambolo
Quand on l'a retrouvé au bout d'une heure, il traînait autour de lui une odeur nauséabonde. "Dans quoi es-tu allé te fourrer, m'écriai-je en le repoussant ?" "J'ai mangé un caca de chat."
La flore de l'île ne le passionnait pas, à dix ans on préfère gambader, jouer que s'attarder autour de plantes endémiques, de pestes étouffant la végétation indigène, de variétés introduites au fil des ans par les nouveaux arrivants, d'espèces en danger et autres plantes portant des noms locaux parfois très rigolos.
Nous buvions les explications de ce beau jeune homme svelte, au visage souriant fendu par deux yeux bruns caressants, aux cheveux noirs mi-longs retenus en catogan. Un air asiatique, indien, un malbar comme on les appelle ici.
Yoann, insensible à l'écosystème, se démenait à la recherche de découvertes inédites. Il rêvait de surprendre un dodo rescapé, un tangue ou autres espèces animales inconnues dans son pays ou définitivement disparues. Alors quand dans l'espace des plantes "lontan", il dénicha un caméléon, à demi endormi, allongé sur une branche de caféier marron, nous l'avons laissé.
Le parc ne comporte aucun danger. Ici pas de serpent venimeux, les oiseaux gazouillent et sautillent gentiment, les papillons volettent, les chats faméliques cherchent pitance autour des tables du restaurant. Pas de puits, le bassin aux papyrus et faux nénuphars est peu profond et toujours entourés de visiteurs. L'océan que l'on aperçoit parfois entre deux cactées géantes brasse ses vagues trois cent mètres plus bas au bout d'une longue route en lacets (je suis tentée, mais c'est faux, de dire en colimaçon). L'espace est bien clos, les chemins bien tracés. Les ouvriers qui travaillent ici et là sont toujours prêts à vous remettre sur le bon chemin ou à vous montrer une excentricité de la nature.
Aucun péril, aucun risque de s'égarer. Les seules menaces sont les épines des succulentes, la piqûre d'un scorpion, d'une araignée ou d'un cent pieds. Yoann était prévenu de par ses expériences antérieures qu'il ne fallait pas fourrer ses mains, et à défaut de mains, son nez n'importe où.
Pendant près d'une heure, nous avons emmagasiné des noms, des images, des senteurs et c'est riches de connaissances tropicales que nous sommes arrivés dans le verger. Un vrai paradis. Midi approchait, nous avions faim et tous ces fruits qui pendaient aux branches tentaient nos mains et nos bouches gourmandes : zévis, corossols, bibasses, combavas, citrons galets… C'était un délit de s'exposer ainsi. Les fruits des grenadilles exhalaient un parfum irrésistible. Je m'apprêtais à commettre le geste défendu, la faute inexpiable. C'est à ce moment que Yoann apparut et avec lui cette odeur repoussante.
"J'ai mangé un caca de chat ! Mi aime a ou, ajouta-t-il en riant".
Derrière lui apparut un jardinier, l'air affable : "Pour vous ce sera un caca poule", dit-il en me tendant un fruit à peau verte tachetée de brun, à la pulpe de couleur peu engageante.