Destination : 63 , Surprise !
...avec pertes et fracas !
Je m’engouffre par la porte grande ouverte, si bien peinte d’un bleu ciel que j’en ai l’eau à la bouche. A pas pesant, j’avance dans un lieu étrange et transparent comme l’eau claire d’une fontaine. De gais grelots accompagnent mon entrée fracassante. Le silence s’abat d’un coup sur moi. Je reste coi. Puis soudain de petits cris aigus sur ma droite attirent mon attention. Une forme fine, petite et colorée se faufile jusqu’au dehors. Elle sautille en jetant de toute part des « A l’aide ! A l’aide ! » qui s’étouffent tout doucement dans la rue étroite et pluvieuse que je viens – non sans l’avoir abîmée quelque peu – d’emprunter.
Je suis seul au milieu d’un univers inhabituel, insolite, que j’ai du mal à définir. Je tourne en rond et des tintements joyeux se déversent dans la pièce en aquarium. L’espace devient alors plus grand et plus ouvert, plus à ma taille. A mes pieds des couleurs multiples scintillent et m’aveuglent brusquement. Je n’ose plus bouger. Je me sens de nouveau prisonnier. J’entends tout à coup des sirènes, des pas précipités, des portent qui claquent, des voix qui crient, se rapprocher. « Un éléphant ! Un éléphant dans le magasin de porcelaine ! ». Je tends l’oreille et crois reconnaître celle d’un petit enfant qui est déjà venu me rendre visite dans ma cage dorée : « C’est l’éléphant du zoo qui s’est échappé ! » Les badauds attroupés en masse devant le mur transparent, me regarde bouche bée : « C’est incroyable ! Regardez, il a tout cassé ! » Et des doigts accusateurs se braquent vers moi. Des hommes en bleu, matraques au poing s’avancent à pas mesurés en ma direction. Je dirige alors ma trompe vers un petit objet étrange encore rester intact de ma parade dans ce bocal. Je relève fièrement ma tête vers mon public interdit. Généreusement, je tends ma délicate trouvaille vers mon maître dompteur enquiquineur qui vient d’apparaître dans l’embrasure de la porte tout essoufflé dans son ciré jaune canari. Une passante au comble de l’hystérie sous son parapluie gris s’écrie : « Venez voir l’éléphant dans le magasin de porcelaine ! Il tend une tasse de thé Frankenthal au gardien du zoo ! »
Au loin les cloches de l’église Saint-Martin sonnent : « Il est trois heures my darling, c’est l’heure du thé ! L’éléphant ne s’est pas trompé ! », dit le vieux potier d’en face à sa femme, ravi que sa concurrence se soit ainsi envolée en éclat… avec perte et fracas !