Destination : 404 , Adolescences


Je vous propose au cours de cette destination de vous pencher sur une période de la vie particulière : l’adolescence. Si l’on est souvent, en écriture de l’intime, invité à écrire sur l’enfance, il est plus rare de se pencher sur cette époque particulière.
Historiquement (je caricature à dessein), l’adolescence n’a pas toujours existé, tout au plus existait un passage de l’enfance (immaturité) à l’âge adulte (autonomie) avec plus ou moins des rites de passage. Je conseille ici la lecture du roman « le parfum » où l’on découvre comment le héros est projeté très jeune dans le monde du travail et la rudesse des adultes.
Au cours du vingtième siècle, puis encore plus au vingt-et-unième siècle l’adolescence a été étudiée, disséquée, dramatisée. A tel point qu’aujourd’hui, je me demande un peu si l’on peut sortir, voire survivre à cette période troublée, mouvante, instable, difficile…
Depuis quelques années, j’ai la chance de travailler avec des adolescents que je suis sur quatre années et je suis toujours émerveillé par le développement que connaissent ces jeunes de 12 à 15 ans.
De quoi parlons-nous ? Je prendrai ici la métaphore de Françoise Dolto qui présentait l’adolescent tel un homard devant muer pour se doter d’une nouvelle carapace. La métaphore est bonne parce qu’à cette période les ados doivent quitter la carapace rassurante qui les protégeait depuis l’enfance pour se construire une nouvelle carapace qui sera la leur pour l’âge adulte. A ce moment, cette période, le homard est fragile, il est « entre deux », et c’est à lui de fabriquer cette nouvelle carapace. Il est inquiet, tenté par de nombreux modèles, il peut aussi refuser cet état de fait, s’enfermer, se lancer dans des expériences limites… C’est une période très particulière où les parents sont parfois désorientés, mis face à leurs contradictions, interrogés sur leurs convictions, leurs valeurs, leurs fragilités (ce qu’il y a sous leur carapace). Je suis toujours étonné que des parents aient complètement oublié qu’ils avaient eux aussi été adolescents, en proie à toutes les difficultés s’y rattachant.
Je voudrais terminer cette présentation du thème en évoquant un phénomène nouveau et inquiétant, concernant principalement l’adolescence. Si, au début des années 2000, le phénomène des éternels adolescents ou adulescents nous avait amusé (les « Tanguy »), il est aujourd’hui une problématique tout autre taraudant certains adolescents. J’évoque ici les questionnements existant autour du genre : que ce soit les questions identitaires ou les transitions d’un sexe vers un autre. De marginal - j’en entendais parler au loin - cela s’est rapproché, et autour de moi, je connais des personnes, des familles, des adolescents où cette question a pris une place centrale, critique. Depuis peu, je me documente sur le sujet et je découvre deux choses opposées : d’une part un grand nombre d’ados concernés à divers niveaux, d’autre part peu d’études sérieuses, de grande ampleur, avec du recul. Une chose est sûre : les réseaux sociaux sont des amplificateurs de ces questionnements et être adolescent aujourd’hui n’est pas quelque chose de facile !
J’ai conscience de la tournure un peu inhabituelle de l’énoncé de cette destination, c’est volontaire, pour ne pas vous proposer toujours les mêmes approches. Si vous êtes un peu désorienté, c’est normal, je voulais que d’une certaine manière que le malaise ado éclate !
Profitez de cette explosion pour voir ce qui fait écho avec votre histoire, ou bien ce qui vous interroge, documentez-vous si besoin pour écrire ensuite quelque chose : un poème, une page de journal intime, une nouvelle, un dialogue, une saynète…

Purement pour ajouter un effet de contraste je vous parlerai maintenant de trois approches littéraires et datées de l’adolescence : je pense au Grand Meaulnes d’Alain Fournier, à Arthur Rimbaud (« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » et à « Bonjour tristesse » de Françoise Sagan. Ces trois auteurs dont j’ai adoré les œuvres citées présentent des aspects de l’adolescence à des époques très différentes et peut-être nous indiquent que l’adolescence, avec ses errances, est le reflet d’une société à un moment donné…

L’adolescence, un moment où l’on est entraîné Ailleurs !
JFP


On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
? Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
? On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, ? la ville n’est pas loin -,!
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

? Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
? Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
? Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’à mois d’août.
Vous êtes amoureux. ? Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
? Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !
? Ce soir-là,… ? vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
? On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud (1854-1891), 29 septembre 1870

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