Destination : 161 , Courses de rentrée


LE REFUGE





"Peut-on s'habituer aux souffrances" ?







Le Refuge





Après dix ans de ce que je n'osais nommer "souffrance" de peur de m'effondrer, j'ouvris grands, dès

l'aube, les volets du chalet, espérant un signe d'encouragement et d'apaisement.



Le refuge Vallot était là, comme chaque matin, et il serait encore là, ce soir. Et demain.

Abri maudit, sa vocation était d'accueillir les alpinistes en détresse.



Dans notre famille, les hommes étaient guides de haute Montagne, de père en fils.

Emile Servettaz, mon père fut même à l'origine du premier syndicat des guides chamoniards.



Cette année-là, l'été fut particulièrement beau.

La saison alpine battait son plein et les fins de mois d'Émile furent ainsi plus légères.

Faute de n'avoir pas su dire "non" à un Américain qui lui offrait un prix de course particulièrement attractif pour admirer un lever de soleil autre que texan, il dévissa dans les Grandes Jorasses.



Quelques années plus tard, ce fut le tour de Zian, mon frère. Les "Drus" eurent raison de lui, alors même qu'il venait d'être le témoin de mon mariage avec François.



François, à qui, en dépit de mes plaintes, Émile

puis Zian avaient donné le goût de défier

nos montagnes et qui après des études à Grenoble abandonnées sans regret, en avait fait son métier, happé par le risque de la passion (et non l'inverse), comme il aimait à le dire.



Emile et Zian "partis", nous nous préparions à accueillir le tendre fruit de nos amours, une petite fille dont je me réjouissais (sans le cacher), du fait qu'elle ne monterait jamais "là haut"...



Ce matin-là, dix ans plus tard, au pied de l'arête des Bosses, la charpente métallique du refuge Vallot étincelait. Elle m'aveuglait. M'étreignait. M'étouffait.

C'est là, que deux ans auparavant, François surpris par une tourmente avait trouvé refuge, épuisé, aveuglé et souffrant d'une grave hypothermie.



Après...?

L'après, je ne l'avais pas encore accepté, intégré, dépassé, en dépit de ma douce petite Lou qui comprenait peut être déjà, inconsciemment, que l'on n'avait pas d'autre choix que de "s'habituer" aux souffrances.



"Sois courageuse ma belle, avec le temps, tu t'habitueras, m'avait-ton dit, Lou t'y aidera"...



En réalité, non... : " s'habituer" était inapproprié, "s'habituer" n'avait aucun sens.

S'habituer à quoi que ce fut, était un choix.

Un choix consenti et non subi.

Un choix de vie. Et non un choix de mort.

S'habituer c'était "prendre" une habitude; or, je n'avais rien pris. On m'avait pris.



La souffrance n'était pas un choix. Je faisais "avec", comme une seconde peau.

A défaut de m'adapter, j'apprivoisais l'absence.



Celles d'Emile, de Zian et de François.











Martine V.