Destination : 161 , Courses de rentrée


LA MISSION DU LIEUTENANT DANIEL

Le lieutenant avait troqué sa tenue militaire contre un costume civile démodé bleu marine. Il était mal à l'aise, malheureux, gauche, les pensées embrouillées. Il était arrivé trop tard pour l'enterrement d'Anne sa mère adoptive.

Ne plus penser à l'AFGANISTAN se souvenir d'elle. Elle le méritait. Lui, l'épouvantail effrayé de la DASS, le paumé, le violent, elle en avait fait un homme accompli à force de générosité naturelle, d'amour discret et de patience constructive.

Il avait déposé sur sa tombe un gros pot d'hortensia blanc, sa fleur préférée, et caressé sa pierre tombale. "Anne de KERGALLEC - résistante - a voué sa vie aux orphelins".

"Nous avons chanté l'hymne breton, tu sais. Un bel enterrement avec des drapeaux, un général et beaucoup d'anonymes, surement ses anciens protégés. Elle m'avait demandé de te remettre cela." Yvon le cabaretier lui tendit une carte postale défraîchie. "Elle m'a dit que tu devais aller lui parler. Elle a ramassé son souffle pour me dire cela. Cà avait l'air important".

Le lieutenant DANIEL, en tremblant retourna la carte postale qui représentait un phare défié par une grosse vague. En grosse lettres noires manuscrites était inscrit : ROYAN, phare de Cordouan, Jean.

Il se leva d'un bond "Bon dieu ! ROYAN ! mais je n'ai que 48 heures ! et parler de quoi ? Ce Jean , tu le connais ?".

"Aucune idée. Elle gardait la carte dans une boite rangée dans le tiroir de sa table de nuit. Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à un secret qu'elle voulait révéler avant de mourir. C'est toi qui aurais dû ouvrir le tiroir pas moi. Elle t'as attendu aussi longtemps qu'elle a pu. Je ne suis qu'un commissionnaire. Voici ton billet de train. J'ai un cousin là-bas. Il t'attendra, te logera et de conduira au phare. Tiens j'ai fait une photo d'Anne avec mon vieux polaroïd avant qu'ils ne scellent le couvercle du cercueil".



Le lieutenant avait dormi lourdement, en bête épuisée, dans le train. Ses rêves le ramenaient sans cesse dans la vallée de KAPISSA, vallée de poussière brulante, de mort à l'affût. Plus haut dans la montagne bleutée, escarpée, silencieuse et hostile qui la surplombait il venait de perdre deux hommes dans une embuscade.



Le petit bateau de pêcheur approcha à vitesse douce du phare majestueux. Le lieutenant DANIEL leva la tête en se protégeant les yeux. La blancheur du bâtiment rayonnait sur un ciel bleu pur à peine dérangé par quelques nuages en filaments. Ainsi un mystérieux Jean travaillait ici. Gardien de phare quel étrange métier. Seul face à l'océan, jour et nuit. Bien sur il y avait les taches codifiées, répétitives qui rythmaient le temps mais cette masse compacte, puissante qui à chaque marée revenait frapper sourdement la pierre ressemblait étrangement à toutes les questions sans cesse posées, attendant désespérément des réponses.

Il fut aimablement accueilli "Je voudrais parler à Jean". L'homme en pull marin regarda la carte postale que le lieutenant DANIEL lui tendait : "Connais pas. Jean quoi ?" "de KERGALLEC peut-être" "Encore moins. Un breton ici, çà m'aurait frappé" Le lieutenant découragé tendit la photo de la morte. "Ce serait une parente, je crois". Le gardien regarda la photo attentivement. "Ce n'est sans doute qu'un hasard, mais je me souviens d'un gars qui venait entretenir la lanterne. Je n'ai jamais su son nom. Il se faisait appeler Hélios, à cause du dieu solaire. Il avait le même gros grain de beauté entre les sourcils que votre défunte". Le lieutenant DANIEL sentit la joie réveiller les battements de son coeur.

"Je peux le trouver où ?"

Le gardien haussa les épaules "Alors çà ! Il parait qu'il se serait noyé un jour de grandes marées. Mais on n'a jamais retrouvé son corps. Qui sait si l'océan n'a pas un cimetière secret où il enterre les désespérés qui ont décidé de mourir entre ses bras ?".



Le lieutenant DANIEL rangea la carte postale et la photo dans son portefeuille. Sa feuille de route qui le ramenait en AFGANISTAN tomba sur le pavé marbré. Il la ramassa vivement. C'était un impérieux rappel.



Fin

EVELYNE W