Destination : 165 , Rétrospective de l'année prochaine


L'année volée

Trente et un décembre 2012. Une heure du matin. Une chambre dans une clinique privée. Une semi-pénombre permet de découvrir la forme d'un corps menu caché jusqu'à la poitrine par un drap au tombé impeccable. Les mains maigres et délicates sont sagement posées à plat sur le rabat de la toile. La tête est casquée de pansements. Le corps est relié à une machine par de nombreux tuyaux. On dirait des artères qui s'activent consciencieusement. La machine ronronne. Une femme fatiguée, s'est endormie dans un fauteuil près du lit. Elle ronfle doucement. De temps en temps, une plainte qui lui échappe, la fait tressaillir et la réveille un peu. Elle esquisse un geste vers le lit, la main retombe, le sommeil continue son œuvre d'oubli.

Soudain, les deux mains enfantines s'éveillent. Les doigts cherchent, s'entêtent. Ils sont à présent de petits pattes qui réclament, têtues, leur liberté. Les paupières frémissent. Elles se mettent à battre rapidement, il y a tant et tant de nuit à effacer. La frêle poitrine se gonfle peu à peu. La mâchoire se décontracte. La bouche s'ouvre un peu, puis d'avantage et une parole sort faiblement : "maman". La femme se réveille en orage. Elle regarde son enfant et voit, voit l'incroyable réalisé, l'impossible possible, la résurrection de son enfant. Son enfant enfin libéré du coma. Elle embrasse avec fougue les maigres petites mains. Elle rit, elle pleure. Elle crie " Infirmières, vite, docteur, vite, vite. Mon enfant est revenu".



"Combien de temps ai-je été dans le coma maman ?"

"Un an, ma chérie, presque jour pour jour. Une moto t'as renversée"

"Je ne me souviens de rien. Sauf de ta voix. Je ne comprenais pas ce que tu disais mais ta voix tourbillonnait dans mon espace. J'étais comme un oiseau qui planait mais n'avais jamais le droit de me poser. Ta voix me réconfortait, parfois j'étais si fatiguée. Une année à dormir ! Que s'est -il passé durant tout ce temps ? "

"Je ne sais pas ma chérie. Je ne vivais que pour toi. Je venais tous les jours. Et puis, je ne sais pourquoi, depuis un mois je voulais aussi rester auprès de toi la nuit. J'ai vécu en somnambule, comme un fantôme. Que m'importait les autres. Aucun évènement ne me touchait. Les saisons défilaient mais le même hiver m'habitait sans cesse. Une seule idée me faisait tenir debout : elle se réveillera et je serai près d'elle à cet instant."



L'année 2012 fut fort semblable à l'année 2011 : La nature étant fidèle à elle même, il y eut : des tempêtes à répétition, des raz-de-marée non annoncés, des éruptions volcaniques stupéfiantes et mille désagréments climatiques prévisibles pour, naturellement, tout ce qui est visible à l'oeil nu. L'homme étant à l'image de la nature, il y eut : des épidémies fulgurantes, des guerres sans armistice. Famine et misère continuèrent à danser sans vergogne au bal des pauvres. Les pollutions industrielles et les intoxications alimentaires firent les beaux jours des spécialistes de tout poil. Il y eut aussi des crimes atroces et des actes de courage et de dépassement. Ce fut à peu près tout, si l'on évite de sonder l'âme humaine bien entendu. C'est à vous décourager de fêter une nouvelle année !



Ne dites surtout pas cela à une maman qui, dans la chambre d'une clinique privée, serre dans ses bras son enfant enfin réveillée.



FIN

EVELYNE W