Destination : 151 , De Père en fils


Le fils manquant

Le fils manquant

Il voulait un fils. Et elle ne voulait pas, ou plutôt ne voulait plus.

Lors de la première naissance, ce fut une fille. Il devenait père et était terriblement fier de ce petit être si tendre, si fragile dont il était responsable. Il se sentait heureux. A la deuxième naissance, encore une fille. Elle était si ronde, si potelée, si craquante qu’il en oublia sa déception. Mais pour la dernière naissance, il attendait un fils. Et ce ne fut pas une mais deux filles ! Elles arrivèrent bien en avance et avec grande difficulté. Et lorsqu’il vit ces deux petites créatures si décharnées, il détourna vite les yeux et décida que ce serait « l’affaire de leur mère ».

Maintenant elles grandissaient. Et plus ses filles grandissaient, plus son obsession devenait gluante. Son désir de fils tournait dans sa tête comme une libellule prise dans la toile d’une araignée. Impossible de s’en libérer. Et sa femme qui ne voulait plus d’enfants. Pourtant il imaginait ce fils, son fils. Un garçon brillant à qui il pourrait transmettre tant. Transmettre tout. Tout ce qu’il avait en lui. Parfois même il lui parlait. Ils passeraient des heures à démonter puis réparer les pièces de sa 2CV. Ils partageraient son goût modéré mais affirmé pour les grands crus. Ils pourraient même constituer une cave tous les deux. Et puis surtout sa grande passion, le tennis. Tout ce qu’il avait appris, construit à force de sueur, il pourrait lui enseigner. Quel plaisir ils auraient ! Oui, il voulait un fils. Son fils.

Mais comment faire ? Devrait-il tout détruire ? Quitter sa femme ? Cette femme qu’il aimait découvrir au fil des ans. Cette femme avec qui il partageait l’essentiel. Devrait-il abandonner ses enfants ? Les quitter et tout oublier ? Il y songeait sérieusement tant son obsession devenait impérieuse. Avoir ce fils avec une autre ?

Et puis il y eut cette matinée si particulière et si simple à la fois. Ce fut la petite dernière qui le sortit de sa torpeur. La plus fluette des jumelles, la plus fragile aussi. C’était un samedi matin de grand soleil avant l’annonce des froids piquants. Les parents portaient le panier du pique-nique et les filles découvraient la forêt avec effervescence. L’une picorait des fleurs en chantant, l’autre se cachait derrière les troncs d’arbres alors que la troisième lui courait après à l’aide de cris stridents. Seule la petite dernière était calme. Elle s’était éloignée du bouillonnement de ses sœurs et semblait concentrée sur un jeu difficile. Devant son trop grand silence, le père s’approcha et l’observa. Elle avait réuni des branchages, des feuilles, une corde et quelques cailloux aussi. Elle tordait une branche en un cercle et tentait d’y accrocher un cordage. Le père demanda :

- Tu veux de l’aide?

- Non, je vais y arriver, répliqua l’enfant de sept ans.

- Mais que fais-tu ?

- Je fabrique une raquette.

Et après un silence, «une raquette de tennis, papa.»

- Mais pourquoi donc ?

- Ben, pour jouer… Je veux jouer au tennis avec toi, papa.

Cette phrase prononcée par sa fille sonna longuement comme une évidence en lui. Oui, il pourrait partager sa passion avec sa petite dernière. Non, il n’avait pas de fils mais il avait quatre filles. Et tant de bonheurs simples à vivre avec elles. Et qui sait, il aurait peut-être un jour la joie d’être grand-père ? Le grand-père d’un petit fils.



Leïla écrit en mars 2011

Leïla T