Destination : 199 , Absurd'idées


AVANT LA PLUIE

Tout cela avait commencé de façon bien innocente. Je marchais dans la rue, la tête vide, le pas paresseux lorsqu'une femme accompagnée d'un enfant m'a doublé. L'enfant s'est soudain retourné, m'a souri et fait un petit geste amical de la main. Je lui ai rendu son sourire et agité la main.



J'aime ces marques spontanées de gentillesse dont seuls les enfants ont le secret. Elles vous réchauffent un matin et vous donne envie de siffler.

La maman s'est retournée à son tour et m'a envoyé un baiser. Là c'était excessif. J'ai baissé la tête en rougissant car c'était une belle femme. Mais enfin cela m'a mis mal alaise et j'ai commencé à suer.



Les choses n'ont fait qu'empirer : un homme qui sortait d'un building, imperméable et attaché-case assortis a foncé sur moi, saisi ma main et la secouée avec énergie :

"Vieux ! Toi ! Bon sang que cela me fait plaisir. Je me disais il faut que tu appelles l'ami GUERET et puis tu sais la vie t'emporte. Merci pour toutes tes cartes postales du monde entier. Veinard ! Passer son temps à voyager ! Rien de tel pour garder sa jeunesse. D'ailleurs je te trouve magnifique ! Je dois filer, une réunion importante du Comité Directeur ! Tu te souviens, ils détestent les retardataires."



Il me laissa là, stupéfait, abruti. Je ne m'appelais pas GUERET.



Je ne sais pourquoi je commençais à avoir mal à la tête. On me frappa sur l'épaule. Un jeune homme, les cheveux ébouriffés, le regard prisonnier d'une large paire de lunettes me souriait timidement.

"Quelle chance de vous rencontrer monsieur. Je voulais vous informer que la dernière dissertation de Nathan frôlait l'excellence. Malgré son jeune âge c'est un esprit mature et brillant. Vous pouvez être fière de lui. S'il continue ainsi je lui promet une belle carrière d'écrivain !"

et il se sauva à grandes foulées.



Je me laissais tomber sur un banc, vacillant.



Récapitulons calmement : Des inconnus me reconnaissent, ils m'appellent GUERET et m'annoncent que je voyage à travers le monde et que je le fais savoir. J'ai un fils brillant que j'accompagnerai le jour où il recevra le Nobel de la littérature.

Mais, mais, qui suis-je ? MIGNON, Edouard MIGNON, célibataire et bibliothécaire et mon plus lointain voyage fut la visite de la plage de BERCK. Je peux vous assurer que le Nord-Pas de Calais en hiver ne vous donne pas d'envie d'envoyer des cartes postales.



Que se passait-il avec ma tête ? C'était-elle transformée depuis que j'avais quitté mon triste deux pièces sur cour ce matin ?



Je fus soudain entouré par deux policiers plein de sollicitude :

"Tout va bien monsieur ?"

Je répondis au bord des larmes : "Tout le monde veut que je sois GUERET, le grand voyageur, père d'un prix Nobel et moi je suis MIGNON, Edouard MIGNON et on s'en fou !"



Ils me regardèrent avec surprise et inquiétude. Je me voyais déjà pourrir dans une cellule d'aliéné.

"Montrez-nous vos papiers d'identité monsieur on va vous aider" et je dû avouer qu'on avait volé ma sacoche quelques jours auparavant.

Un des policiers alla vers une voiture balisée et demanda une recherche sur un certain GUERET. Il revint triomphant "C'est le mari de l'actrice Pamela SOMERTIME ! Je suis dingue de ses nichons et de ses yeux. Bravo monsieur GUERET ! vous êtes l'homme le plus chanceux du monde !



Ils remontèrent dans leur voiture en riant fort.



Je restais assis sur mon banc et regardais le ciel. Des nuages gris grossissaient à vue d'oeil. Bientôt il pleuvrait.

Et si, finalement j'étais GUERET ?

J'avais tout à gagner et rien à perdre.

MIGNON allait disparaître avalé par son anonymat.



Moi GUERET j'allais faire des choses étonnantes. Ma femme et mon fils m'attendaient impatiemment, plein d'admiration et d'amour. Dieu que la vie était étonnamment belle !



Une petite fille passa traînée par sa maman. Je lui fis un geste amical de la main en souriant. Elle me regarda méchamment et me tira la langue.



Les premières gouttes de pluie tombèrent.



FIN

EVELYNE W