Destination : 17 , Le journal d'Ateliériste jones
Fuir, dit-elle
Mercredi - 1 page de « Globe-Trotter » ou « Le baladin de la terre » ou « des mers » ou on verra, 5 paragraphes, 26 lignes, 752 mots, 4282 caractères (merci l'ordi), tout ça pour 1 voyageur, 1 sac à dos, 1 vieux jean, 1 guitare, l'air paumé - Bon, oui, mais déjà 11 couper-coller, trouvé 0 nom approprié pour le personnage central. Pas de cocorico prématuré !
Pourquoi démarrer sur un solitaire qui fuit son environnement ? Toujours écrit des sagas familiales pour mes lecteurs, enfin lectrices, et voilà que je m'attaque à un isolé.
Je dis plume, cahier et page blanche. Ca date, mon langage. Pas tout à fait Veillée des Chaumières ni Harlequin, un peu plus élaboré, mais la veine est usée. En réalité, je suis assise derrière mon ordinateur portable, tape sur des touches et fixe l'écran. Moderne, ça. Je décris un voyage à Avignon en train et dans cinq jours, je prends l'avion pour Berlin. Mon protagoniste masculin est en quête de son identité ; moi, bientôt, je m'installe loin de mes origines. J'ai du mal à me suivre et le pire est que je me précède toujours.
Peut-être mais j'en ai marre d'être la chroniqueuse des familles. Et que pensez-vous du PACS ? Pacsez-vous, ne vous pacsez pas, je m'en contrebalance. Quels sont les ravages causés par la découverte de l'homosexualité de l'un des partenaires dans un couple ? Bougres d'idiotes ! Les mêmes que lorsque tu t'aperçois que ton mec s'envoie en l'air avec sa secrétaire ou ta meilleure amie ! Lisez et bouclez-là. Et les signatures rasoir dans les librairies, terminé !
A Berlin, tout commencera. Nouveau pays, nouvelle ville, nouvel appartement, nouveaux voisins. Ma renommée n'a pas encore traversé les frontières. Dimanche dernier, dépendaison de crémaillère. Tous là, mon ex, des ex avant et après lui ou des qui auraient voulu. No regrets ! José est venu, un peu contracté, et m'a demandé si je passerai quelques jours avec lui dans la maison du Béarn. Collant ! Non, c'est fini, son air de chien battu ne me bouleverse plus. Qu'on me lâche les baskets !
Je le sens bien, ce roman, pourquoi pas « Ronan Le Guernic » ? Ah ! cette Bretagne, elle me colle à la peau et je mets de la distance entre elle et moi. Ne plus louer la petite maison de Saint-Quay ! Mais je débloque. On en revient de l'Allemagne (enfin, historiquement parlant, pas toujours vrai). Phrase à ne pas écrire dans un roman, ça fait un peu contre-vérité. Pas politiquement correct. Ne pas se rendre impopulaire.
Jeudi - 2 appels de José, j'étouffe ! 3 machines à tourner, 1 planche à repasser dans le salon.
Salon ? Foutoir, tu veux dire. Faire des valises, préparer les cartons, avec mon sens pratique inexistant, calvaire. Et moi, toujours « Reisetante » (dixit Udo il y a bien longtemps), toujours la mère-la-valise, me voilà repartie ailleurs. Il m'en faut des ailleurs pour être heureuse.
Depuis que j'ai quitté ma mère :
11 déménagements, 2 pays, 10 communes différentes, 2 maisons temporairement à moi, 1 appartement (pas fini de payé, mais déjà revendu), et 1 cantine en fer pleine de bouquins, de lettres, de souvenirs de jeunesse, égarée. Je sais, pierre qui roule.
Vendredi - 1 monceau de cartons (la flemme de compter), 4 pièces quasiment vides, 1 toute petite nostalgie
Demain, je l'oublierai, José. Il ne sera plus qu'une ombre fugitive dans mon roman. Il y a tant à raconter, l'avenir s'étend large comme l'avenue Unter den Linden, devant moi. Je pars à l'aventure, avec les anges, sous le ciel berlinois. L'aventure dans l'avion, peut-être ? Mais non, moi, je ne suis pas un personnage de roman, je suis l'Auteur. Je construis ma vie de femme moderne, libre et responsable, je vais m'en tenir à l'écriture et publier enfin un « vrai » roman. Aller jusqu'au bout de mon rêve !
1 frère, 1 sour, une 20aine d'amis, « x » copains, 36 bonnes raisons de prendre de la distance et de fuir leur fichue influence. Le français en Allemagne ne sera qu'à moi. Vivre à mon gré, me cacher au fond d'une ville peuplée d'inconnus. Seule enfin dans la foule berlinoise.
Et si je me faisais un thé ! Interruption momentanée du journal.
« Abwarten und Tee trinken, attendre et boire du thé », disent les Allemands. C'était du temps où le thé « chic » était servi très tard dans la journée. Anglais et Français plus prosaïques : « wait and see », « attendons de voir ». Mais qu'est-ce qu'on voit dans les feuilles de thé ? A en croire Jeanine (elle les appelle les Chinois, drôle d'idée, est-ce qu'elle fait une confusion avec un chinois, une passoire ?), les feuilles de thé restent muettes. Pas pour moi. Dans ce bon thé-là, revois moments de complicité au « Clarinda », à Edimbourg. 1 coin « cosy », 2 amoureux, 4 scones, 2 tasses, 1 pot de thé à la bergamote, crème et confiture. Un silence feutré et, de l'autre côté de la table, mon José. Mon Dieu, oui, merci pour ces doux instants ! Lui qui n'était pas très British, il avait tout savouré. Il en parlait encore longtemps après. Allons, un bon thé va me remettre l'esprit en place !
Au fait, pas bien nouveau, mon désir d'Allemagne. 1980 : quitté Paris pour Ratisbonne, la Seine pour le Danube. - 1982 : retour avec un fiancé anglais - 10 ans de mariage avec un Anglais. Le thé, le meilleur de sa culture. Jeté le reste aux orties, le mari surtout..
Cette fois-ci, c'est différent : je recherche la liberté, la solitude et l'anonymat. 1 mari envolé depuis longtemps, 1 fille qui vole maintenant de ses propres ailes. Moment idéal pour rompre. Et surtout pas 10 de retrouvés ! Ils me pompent, ils envahissent mon espace vital.
Le téléphone vient de sonner. Impossible de trouver ce fichu cordon. Qui pouvait bien m'appeler aujourd'hui, à cette heure tardive ? Bang, en plein dans une valise ! Mon cour battait plus fort. Mon éditeur ! Je reviens dans deux mois pour passer chez PPDA. Oh la, la ! je ne m'attendais pas à celle-là, je suis encore sous le choc.
Dring, dring ! Encore. Cette fois-ci, c'était.José ! Là, c'est le pompon, je me cite texto : « Mais oui, bien sûr, si tu as des congés à Noël, viens. C'est si beau, un Noël allemand ! » !