Destination : 211 , Roman photos


Photos-Maton

L’inspecteur Gaétan Lajaunie se grattait l’oreille droite, comme chaque fois qu’il était perplexe. Il fixait devant lui le panneau lumineux, sur lequel une dizaine de clichés – douze très exactement –étaient scotchés. Il en était convaincu, la clef de l’enquête se trouvait là. Chacune des photos avaient été retrouvée sur un cadavre, au cours des douze derniers mois. Soit un an que cette affaire avait démarré…



24 septembre 2014 : Ce jour-là, Gaétan, qui n’était pas encore inspecteur, suivit son supérieur qui venait d’être informé de la découverte d’un corps, près du canal. Une fois sur place, ils ne purent que constater les faits. L’homme – car c’était un homme – gisait sur la berge, les jambes dans l’eau vaseuse du canal. Comme s’il était tombé dans l’eau et avait essayé de se hisser sur la rive. Un accident ? L’hypothèse fut vite écartée : en retournant le cadavre, les deux policiers découvrirent un couteau, enfoncé dans le ventre jusqu’à la garde. Le périmètre de sécurité fut aussitôt délimité et des OPJ, appelés en renfort, se mirent en quête des indices. Rien. A l’exception d’un cliché, trouvé dans la poche de la chemise de la victime. Celle d’un jeune garçon, appuyé contre une grille. La photo était jaunie, évoquant les années 70. L’enquête découvrit dans les jours qui suivirent qu’il s’agissait de la victime, un certain Claude P., instituteur, âgé de 51 ans. Un homme sans histoire, qui vivait seul dans un pavillon de banlieue depuis son divorce dans les années 80. La photo fut rendue à la famille, sa présence dans la poche de son propriétaire ne choqua personne.



23 octobre 2014 : Cette fois-ci, ce fut à la gare que Gaétan se rendit, toujours à la suite de son supérieur. Un suicide, semblait-il. L’homme s’était jeté sous le TGV de 4h55. A cette heure matinale, le quai était désert. Aucun témoin, donc. Aucun indice non plus. Le corps avait été déchiqueté, « façon puzzle » que le légiste eut bien du mal à recomposer. Il réussit cependant, et découvrit deux éléments étonnants : le premier était un polaroïd représentant une mobylette orange, modèle parfaitement à la mode trente ou quarante ans en arrière. Le second était que la gorge de la victime avait été tranchée, préalablement à son passage sur les rails. Bref, le pauvre bougre avait été suicidé. Là encore, on retrouva très vite son identité : Antoine D., 55 ans, anciennement maçon mais, depuis quelques mois, en congés maladie longue durée. Cette fois-ci, la photo intrigua un peu Gaétan : pourquoi garder un tel cliché sur soi ? Une femme, un père, un enfant : d’accord ! Mais une mobylette des années 70 ? Le commissaire balaya les doutes de Gaétan d’un revers de main. La photo et l’engin appartenant à la victime, il avait tout à fait le droit de se balader avec ou d’en faire ce que bon lui semblait ! Gaétan, qui gardait en mémoire l’accueil que lui avait réservé son supérieur à son arrivée, deux ans auparavant*, préféra donc oublier cette idée plutôt que de lui tenir tête.



Le troisième corps fut retrouvé le jour de noël. Cette fois, il s’agissait d’une femme de 61 ans. Son mari fut sidéré d’apprendre qu’elle avait été assassinée d’un coup de pistolet tiré à bout portant. Une exécution rapide et sommaire mais on ne put retrouver ni l’arme, ni quiconque ayant pu lui en vouloir au point de la liquider. Par contre, bien en évidence, une nouvelle photo, posée simplement sur sa poitrine : une jeune femme (la victime) se tenait avec un garçonnet (son fils) qui lui tendait des fleurs. Cette fois-ci, Gaétan fit remonter la coïncidence… qui parut suffisamment étrange pour interpeller le Procureur de la république. Le commissaire, qui avait laissé passer ces indices, fut mis au vert, tandis que Gaétan se retrouvait, à la mi-janvier, promu inspecteur et chargé de l’enquête. Il n’eut guère le temps de se réjouir de cette montée en grade fulgurante car un nouveau meurtre fut commis quelques jours plus tard. Il n’y eut aucune difficulté à identifier le corps : le portefeuille était encore dans la poche de son blouson, intact. Entre les papiers et les cartes bancaires, une photo interpelle immédiatement Gaétan : celle d’un petit garçon fier de montrer sa prise devant l’objectif. Il s’agissait encore une fois de la victime, un homme d’une quarantaine d’année, actif, sportif, marié, qui laissait deux enfants et une épouse effondrée.



Il reprit tout depuis le début et appela les familles des deux premiers corps pour récupérer les clichés. Au même moment, un collègue de promotion, qui officiait dans un commissariat voisin, eut vent de l’affaire et contacta Gaétan pour lui parler d’une femme qui avait été repêchée, courant novembre, dans les eaux du fleuve. L’enquête avait conclu à un suicide mais ce qui interpella l’ancien camarade de notre jeune inspecteur était que la victime avait sur elle, protégée dans un sachet plastique, une photo d’elle dans les années 80, un ballon de basket à la main. Cela faisait donc cinq morts suspectes, même si le profil de la dernière ne permit pas d’établir avec certitude s’il s’agissait ou non d’un crime.



A partir de là, il ne passa pas un mois sans qu’une nouvelle victime n’apparaisse. Douze mois, douze morts, douze clichés. Tout indiquait qu’il s’agissait d’un tueur en série, méthodique et organisé. Le mode opératoire n’était jamais le même et le meurtrier les balada aux quatre coins de la ville mais, chaque fois, une photo appartenant au défunt était retrouvée sur ou non loin du corps. Aucun autre indice ne fut par contre jamais découvert, permettant de trouver le début de l’hypothèse d’une quelconque petite piste.

Les victimes, quatre femmes et huit hommes, ne présentaient aucune ressemblance et aucun lien ne put être avéré entre eux. Certains s’étaient peut-être déjà croisés, mais sans se rencontrer réellement. La seule chose qui les rattachait les uns aux autres était qu’ils avaient tous, au moins une fois dans leur vie, croisé leur meurtrier.



Le printemps passa, puis l’été. La ville vivait dans la peur de ces meurtres qui semblaient être faits au hasard d’une mauvaise rencontre. Pourtant, Gaétan en était convaincu, le hasard n’existait pas. Il y avait forcément quelque chose qui déclenchait ou avait déclenché cette vague de violence… Il sentait que la clef de l’énigme était là, sous ses yeux, quelque part sur les douze clichés qui ne présentaient pourtant aucune similitude et formaient un patchwork kitch et coloré dans son bureau. Il y avait forcément une explication…

Restait à la trouver avant qu’une treizième victime ne s’ajoute à la liste…





* Pour les curieux, je fais référence à un ancien texte, disponible sur Ailleurs, pour la D14 « Destination maudite ».



myriam