Destination : 246 , Le chant des champs


Le dessin de Jonathan

« Bonjour ! mademoiselle Éclair » dirent d’une même voix joyeuse et haut perchée les enfants de grande materne à l’entrée de leur maitresse.

« Bonjour mes enfants. Ce matin j’ai envie que nous dessinions le monde de nos rêves. Un monde dans lequel nous serions toujours heureux. »



Le ciel était gris au-dessus des barres d’immeubles. Quelques arbres chétifs, maladroitement emprisonnés, frissonnaient. De rares pigeons mendiants se risquaient sur le bitume terne à la recherche d’une improbable pitance.

Les enfants, feutres de couleurs en l’air, avaient peiné à trouver de l’inspiration, sauf Jonathan.



Jonathan avait, avec détermination, chipé une belle quantité de crayons feutre jaune, vert, rouge et bleu ce qui n’avait pas été sans déclencher des altercations bruyantes, vite calmées du regard par mademoiselle Éclair.



Les enfants dessinaient des avions comiques qui se promenaient dans un ciel étoilé, des bateaux minuscules ou gigantesques se prélassant sur une mer dans laquelle se croisaient des poissons un peu inquiétants, des voitures avec d’énormes roues filant sur des autoroutes qui se chevauchaient et toujours, bien entendu, des bâtiments en forme de longues boites percées de trous.



Mademoiselle Éclair s’approcha du dessin de Jonathan. La surprise lui arracha un « Oh ! » discret. Jonathan avait étalé des verts clairs et foncés sur lesquels il dessinait des fleurs jaunes bien droites avec une grosse tête ressemblant à un trombone, d’autres rouges qui semblaient être des ballerines en tutu, le tout était chapoté par un ciel vivement représenté. Il n’y avait pas d’arbres. On sentait bien que c’était les fleurs qui étaient les reines du dessin.



« On dirait que tu as dessiné des jonquilles » dit doucement Mademoiselle Éclair. Jonathan acquiesça de la tête » « Et les fleurs rouges ce sont des pivoines ou des coquelicots ». Jonathan regarda avec sérieux Mademoiselle Éclair « Je ne sais pas, j’aime les dessiner c’est tout ».

Des enfants curieux s’étaient approchés. Certains se mirent à rire « Il a dessiné son balcon », « En plus son balcon il est riquiqui » « Et même que le soleil n’aime pas trop son balcon ».

Jonathan rougissait de plus en plus. Il éclata « Ma maman et moi on fait pousser de l’herbe et des fleurs sur notre balcon et on est très fier parce que c’est joli et ça sent bon ! » Les enfants s’éloignèrent en haussant les épaules.



« Mais quelle bonne idée ! » dit avec force mademoiselle Éclair. « Je pense à quelque chose : vous savez l’arbre si triste, si maigre qui se trouve au beau milieu de la place Salvador Allende, nous pourrions, à son pied, planter des fleurs. Je suis certaine que cela lui redonnerait de la force et du courage pour grandir. Les arbres ont tellement besoin qu’on les aime. »



Et c’est ainsi que mademoiselle Éclair créa la première équipe des « Petits jardiniers de la cité » et que l’herbe et les fleurs se mirent provoquer ouvertement le béton et le bitume.

EVELYNE W