Destination : 297 , Saudade, spleen et mélancolie


Jour de pluie

Il pleuvrait encore toute la journée, ses rhumatismes le lui confirmaient. Elle frissonna dans le sombre de la pièce. Envie de rien, ni de manger, ni d’écouter de la musique ou des informations, ni de lire, ni de sortir. Rien. Rester là assise, les yeux fermés et descendre dans son vide intérieur pour y trouver quoi ? le fantôme d’un souvenir ?

Cela occupe de se farfouiller, de cogner à toutes les portes fermées en soi.



Une pluie drue frappa violemment les vitres. Elle s’en donnait à cœur joie cette pourrisseuse de printemps ! Elle transformait les chemins en bourbiers, les rues en lacs. Bêtes et hommes aveuglés, transis, cherchaient en vain un abri.



Elle s’avança à pas calculés vers la fenêtre. Regarder, le front appuyé contre la vitre glacée, la nature s’incliner sous un ciel coléreux. Plus loin, des cheminées d’usine envoyaient, sans état d’âme, des fumées noires, ce qui complétait à merveille le désespérant paysage.



Elle se souvint d’un enterrement sous la pluie. Pleurer sous un parapluie en regardant le grand trou lugubre. La terre trop meuble, la difficulté à descendre le cercueil qui tanguait entre les cordages trempés. Personne ne s’était attardé. Poignées de mains humides.

« Tu aurais détesté assister à ton enterrement. Je n’ai pas voulu que ta sœur reste pour « « me réconforter » » comme elle disait. Tu te souviens qu’elle a toujours eu mauvaise mine, mais là, avec ta mort … Cette face amaigrie, ravagée. Mon propre chagrin me suffisait. Il y avait aussi son regard perçant qui posait sans cesse la même question : « Pourquoi l’avoir laissé prendre la voiture, les routes étaient si glissantes ? ».



Elle quitte la fenêtre, lentement, et se dirige vers un meuble sur lequel sont alignées des photographies encadrées. Elle sort un mouchoir en papier de sa poche et frotte les plaques de verre. Tant de poussières. Il faudrait épousseter. Il faudrait, il faudrait faire tant de choses mais ou trouver le courage et, à quoi bon ?



La pluie ne dérange plus le silence de la pièce. Un miaulement impérieux la fait sursauter. C’est le chat des voisins, une pauvre bête qui n’est pas beaucoup aimée. Ils se croisent parfois avec une méfiance réciproque.

Il faudrait ouvrir la porte, l’accueillir, lui donner un peu de lait ou autre chose pour le réconforter. Qu’est-ce qui la retient ? Quelle est cette sournoise paralysie ? Avant, elle aimait les bêtes. Avant, elle savait leur parler, les caresser.

Le chat miaule encore avec force. La sonnerie du téléphone éclate. Une photographie encadrée tombe sur le sol, la plaque de verre se brise.



Affolée, secouée, réveillée par le tintamarre, en expulsant de sa poitrine un formidable juron, elle va vivement ouvrir la porte au chat.



Evelyne Willey

EVELYNE W