Destination : 290 , Dans la Lune !


Pleine lune sur la Touques

Que la nuit est douce. Je me sens si tendrement enveloppé dans son haleine que je voudrais embrasser le monde. La pleine lune me regarde cheminer vers le bourg de Fervaques. C’est une cantatrice la lune avec sa bouche en cul de poule, ses grands yeux de jument triste et sa tignasse de rousse effrontée. « Tu dis encore des bêtises Rambert » dirait ma mère, « C’est de la faute à mon imagination et elle me vient de qui cette imagination ? » C’est certain on éclaterait de rire. On aimait tant rire tous les deux.



Les hautes herbes me caressent les mollets, l’humidité vient à peine de débuter leur toilette nocturne. Les grillons ne dérangent pas le grand silence crépusculaire qui sait apaiser le cœur de l’homme et des bêtes.

Avec la pleine lune nul danger de m’égarer et, si je me perdais un peu, cela n’aurait guère d’importance. Elle n’attend plus personne la maison familiale. Elle sait que je l’ai vendue après l’avoir laissée mourir sans lever le petit doigt. Je ne ressens pas même un soupçon de culpabilité. Je donnerai les clefs demain au nouveau propriétaire l’esprit et le cœur vides.



Ce soir, c’est autre chose sous la pleine lune, ma belle, mon ardente ! J’éprouve tant d’affection pour elle. Je crois bien que je n’ai jamais aimé aucune femme comme j’aime la lune. J’ai la conviction qu’elle veille sur moi. Il y a comme un pacte secret entre la lune et moi. Je sais que mon âme ira la rejoindre.



Elle forme un grand chemin d’argent zigzagant sur la Touques qui coule en paresseuse non loin. Un fleuve langoureux, d’opérette, qui avance comme à regret de rides en rides murmurantes.

Je distingue nettement le petit Jean qui pêche encore. Je sais qu’ils ont faim chez eux. Mais pourquoi tant de marmots ? Ils me mettent en colère. Allons la lune veille aussi sur Jean, elle a pitié, elle a posé sa barque sur une grande flaque de lumière pale et douce.



Dans les peupliers un rossignol philomèle s’époumone. Quel artiste celui-là ! ses trilles s’enroulent, s’élargissent, s’élèvent vers la lune. Ce coquin veut aussi charmer l’astre.



Bientôt, les premières maisons du bourg avec leurs yeux clos et leur portes barricadées. Je passerai sans éveiller, sans déranger, avec juste quelques éclats de lune dans les cheveux.



Evelyne Willey

EVELYNE W