Destination : 300 , Au fil de l'eau
Filiation
« Tu sais que ton père n’est pas ton père ? »
Il s’est planté devant moi, les mains posées sur ses hanches, il me regarde fixement un sale sourire coincé au coin de la lèvre inférieure. C’est ce serpent de Thibaut. À sa droite le gros Rémi, crasseux, les vêtements en loques, mâchonnant un bâton de réglisse. À sa gauche, cette fouine d’Etienne avec toutes ses taches de rousseur et ses jambes déformées. Ses lieutenants, toujours à ses ordres pour exécuter ses projets vicieux.
Et le Rémi de rajouter avec une petite voix moqueuse :
« Tu sais que ta mère non plus n’est pas ta mère ? »
Face à des hyènes prêtes à mordre, il convient de garder un calme parfait.
En guise de réponse, j’envoie un mignon petit crachat qui atterrit juste devant les sandales de mon inquisiteur, qui rougit d’un coup et recule d’un pas.
« Ouais, je le sais. Faudrait être miro pour ne pas le savoir. Et çà je peux vous le certifier, les gars, j’ai un vrai regard d’aigle. Par exemple j’ai bien vu le gros Rémi faucher le stylo quatre couleurs du maître, bien vu la fouine avaler en cachette le goûter de la grande Bernadette, et toi je t’ai bien vu pincer un gamin du cours préparatoire pour qu’il te donne tous ses bonbons. Je pourrais en raconter de jolies choses sur vous avec tout ce que j’ai vu. Mais je suis au-dessus de tout cela, puisque que je suis le fils d’un prince »
Ils me regardent éberlués. Je les ai bien démontés. Ils veulent jouer les durs pour ressembler à leurs pères et ils s’écroulent plus vite que des filles.
Cela fait un mois qu’on vient m’emménager dans leur bourg de bouseux et j’ai vite compris à qui j’avais à faire.
La fouine lance : « Alors t’es le fils d’un prince ? »
Je ris intérieurement. Je les ai ferrés. Ils gigottent d’impatience.
« Ouais. Vu que j’ai la peau mate, les yeux bridés et les cheveux noirs et raides, c’était pas difficile de piger que mon père et ma mère, qui sont très blonds à la peau blanche avec les yeux bleus, ne pouvaient être mes parents. Mais comme ils m’adorent et qu’ils m’offrent sans cesse des cadeaux, çà ne m’a jamais gêné. Le jour de mes six ans, ils m’ont donné, cachée dans une jolie boîte en bois parfumé, une clé en or, en me disant : « « Tiens, c’est la clé d’une des portes de ton palais. » » Ils m’ont serré très fort dans leurs bras et m’ont embrassé en pleurant. « « On t’as sauvé. Tu es le fils d’un prince d’un lointain pays. Des militaires ont tué ta famille et beaucoup de gens de ton peuple. Mais un jour, on en est certain, tu retourneras dans ton pays et tu rétabliras la paix et tu régneras ».
Je ne suis pas mécontent de moi. J’ai vraiment des instants de génie.
« Je vous laisse les gars, je vois la voiture de mon père, il m’a promis de m’emmener à a fête foraine. Je penserai à vous sur le Grand Huit »
Le serpent de Thibaut crie : « Tu nous montreras ta clé en or ? ».