Destination : 312 , Scripto-rallye


Viens chez moi

Dolores lisait sur les dernières marches de son perron. Le jour déclinait calmement. Il prenait tout son temps, le jour, il musardait et la nuit pouvait bien attendre.

C’était un samedi 6 août paresseux presque voluptueux.



Dolorès s’accordait une pause. Tout était prêt pour le recevoir: la nappe brodée sur la table, les assiettes de porcelaine, les verres de cristal au pied élégant, les couverts en argent. Dans la cocotte en fonte soupirait doucement dans ses parfums, une estouffade de bœuf.

Sur le mur blanchi, de la cuisine une série de casseroles en cuivres recueillait joyeusement les derniers rayons de lumière.



« …Sous la tombe, tu es là à présent, apaisé, consentant. Papá.

C’est la mort qui te réconcilie avec la vie … »



Étrange formule pensa Dolorès en levant les yeux de son livre. Pourtant cette phrase eut le pouvoir de faire surgir un souvenir savamment étouffé : Elle avait fait connaissance de son père quelques temps après son enterrement. Elle devait avoir cinq ou six ans. « Ce monsieur sur la photo c’est mon papa ? » et elle avait désigné le portrait emprisonné dans le marbre de la stèle funéraire. « Oui » avait répondu sa grand-mère d’une voix neutre en serrant plus fortement sa petite main.



Quelque chose de doux et triste peu à peu l’envahissait. Stop ! Elle devait faire attention à ce type de poison. Se ressaisir. Laisser ses souvenirs d’enfance s’étioler. Le bonheur l’attendait.

Elle n’avait rien cherché, rien demandé, l’amour était arrivé tout simplement en arc en ciel dans le gris de sa vie. Un garçon joyeux qui savait se retourner sur les êtres, attendre, protéger. Avec lui, Dolorès avait le droit d’être vulnérable. Quelle incomparable allégresse que celle de ne plus douter, des autres, de soi.



Dolorès se remémora une promenade bras dessus-bras-dessous dans un village déserté après une secousse sismique. Ruines envahies par la nature sauvage. Elle montrait bien sa force implacable, la nature. Sur une vieille porte en bois qui, miraculeusement, tenait encore debout, il avait écrit avec un feutre « Je l’aime ». Il avait expliqué à Dolorès : « C’est un message pour la nature qui n’a aucun sentiment. Elle peut me chasser, me bannir de mon village. Je lui montre que moi, humain, je lui suis supérieur, car je connais l’amour ».



Les premières étoiles firent valser timidement leur robe argentée.

Les phares d’une voiture se dessinèrent au bout de la rue.

Dolorès se leva le cœur bondissant.



À l’intérieur de la maison, sur le siège qu’elle lui réservait, elle avait déposé une boite qui cachait, malicieusement, une paire de chaussons.

EVELYNE W