Destination : 276 , Je en jeu


Synchronicité

Il ne savait pas exactement quand cela avait commencé. Du plus loin que remontent ses souvenirs, il avait l’impression d’avoir toujours eu cette petite manie secrète qui consistait à se formuler des petits défis pour jouer et égayer son quotidien : « Si je fais dix pas et qu’il ne se passe rien, je prends une chocolatine pour le goûter. Sinon, ce sera un bol de céréales ». Et ce qui, au début, n’était qu’un jeu, devint rapidement une habitude.

Plus tard, confronté aux doutes et interrogations de tout adolescent, il avait naturellement continué. Devant chaque situation de choix, il formulait son incantation magique : « Si dans les cinq minutes, il ne se passe rien, je vais au cinéma avec Simon comme prévu. Sinon, je rentre à la maison pour regarder le match de foot avec Thomas ». Le jour où il échappa ainsi de peu à un accident de voiture, il se mit à croire au destin. Au hasard, aux signes, aux symboles.

A chaque instant, il se lançait en lui-même ses petites injonctions. Les plus grandes décisions de sa vie furent prises de cette façon : le choix de ses études, son départ aux États-Unis, sa passion pour le basket-ball, son premier travail dans une multinationale de Los-Angeles, l’achat de son appartement, etc. Il découvrit par hasard que sa petite manie portait même un nom : la synchronicité.

Sa vie se déroulait tranquillement, il se sentait libre car ses décisions n’étaient jamais le fait de (parfois) vaines et (toujours) intenses réflexions, ni soumises à la crainte de se tromper ou de mal faire. Et, surtout, il ne ressentait jamais ni remords, ni regrets. Personne ne connaissait son secret car, bien qu’il n’en ressente aucune honte, il craignait de susciter l’incompréhension, voire la compassion, et devoir se soumettre à des explications sans fin.

Le 14 octobre 2007, il se leva comme d’habitude. Un avion qui passa dans le ciel au moment où il sortait de la douche le fit opter pour la formule café + croissant. En sortant, deux pigeons roucoulant sur le trottoir lui indiquèrent de prendre le métro. A midi, le téléphone de son collègue, sonnant devant le buffet de la cafétéria, lui permit de déguster un menu italien proposé par le chef. Cette journée ordinaire se passait merveilleusement bien.

A 13h35, il s’apprêtait à rejoindre son bureau quand un oiseau vint picorer contre la vitre, en face de lui. Il se figea. Il n’avait pourtant rien formulé pour convoquer le destin, n’ayant aucun choix à faire en cet instant précis. Que faire alors d’un signe qui s’imposait ? Il était interloqué, abasourdi, stupéfait. Debout à côté de sa table, son plateau repas entre les mains, il n’osait plus bouger.

Une jeune femme s’avança vers lui, le regarda en souriant. Elle se mordit la lèvre, respira un grand coup avant de se lancer : « Je m’étais promis que si nous prenions aujourd’hui et sans le savoir, le même menu, je venais vers vous… Voilà, c’est fait. Lasagnes et Tiramisu. Je m’appelle Sophie, je suis française comme vous. Je travaille ici depuis trois mois et cela fait autant de temps que j’attends que vous me regardiez… »

Sophie était jolie, intelligente et elle aussi, croyait aux signes du destin. Il s’étaient faits pour s’entendre et jouer, ensemble, les jeux de l’amour et du hasard…

myriam