Destination : 120 , L’ombre d’Ailleurs.


L'Attente du Soir

Je ne pensais pas que ce livre me bouleverserait autant. Quand je l’ai emporté avec moi, lors du dernier atelier d’écriture, je n’étais pas très emballée. Il faut dire que les exercices proposés par l’animatrice étaient un brin emberlificotés et les extraits qu’elle nous a lu bien trop tristes à mon goût. C’était un premier roman – je me méfie toujours des premiers romans -, d’un auteur dont je n’avais jamais entendu parler : Tatiana Arfel. Mais bon, l’animatrice a insisté, en nous disant que l’atelier n’était pas à la hauteur du roman, qu’elle avait choisi les passages de lecture pour illustrer les consignes mais que cela ne rendait pas toute la beauté du récit. Bref, je me suis laissée tentée en me disant que rien ne m’obligeait à le finir...C’était la semaine dernière.

Dimanche, comme il pleuvait, que j’étais seule à la maison, je me suis installée dans la véranda avec mon livre. J’aime bien cet endroit pour lire : la lumière naturelle est plus vive et le bruit de la pluie sur les carreaux me plonge dans une torpeur hypnotique agréable pour la lecture. Il était environ 14h45 quand j’ai ouvert le livre. Trois heures plus tard, c’est le manque de luminosité qui m’a obligée à me lever, je n’arrivais plus à distinguer les mots sur les pages. J’étais littéralement retournée, je ne pouvais laisser les personnages, il fallait que je sache la suite. J’ai repris le livre vers 21h, dans mon lit cette fois et l’ai terminé aux alentours de minuit. Je me suis endormie aussitôt, une nuit agitée peuplée de personnages colorés, d’un enfant abandonné, d’un cirque de campagne et surtout, surtout, d’une jeune fille mortifiée.

Car des trois personnages qui habitent ce roman, c’est elle qui m’a touchée. Plus que ça même. Elle m’a pressée, oppressée, broyée méthodiquement. Comment aurais-je pu imaginer que le passé me reviendrait comme ça, en plein cœur ? Bien sûr, ma vie a été plus gaie, moins recluse que la sienne. Bien sûr, le travail de résilience a fonctionné pour moi qui ai eu la chance de pouvoir m’accrocher à une tante aimante et affectueuse, dont les trop rares visites réussissaient le pari de me rendre la lumière. Mais au fond, cet enfant avide de chaleur et d’attention, à la fois envahissant et invisible, c’était moi. Jusqu’à mon entrée au collège, en internat, j’ai subi l’indifférence et la froideur d’une mère qui n’a jamais été maman. En grandissant, en prenant de l’autonomie puis mon indépendance, j’ai oublié ces dix années d’enfer en enfance. Et voilà que ce livre avait ravivé tous les souvenirs !

Je me suis réveillée avec un mal de tête monumental : trop de choses remuaient là-dedans ! Des images, des gestes, des émotions enfouies mais pas disparues et que je devais maintenant accepter de digérer pour pouvoir continuer. Il fallait que j’en parle à quelqu’un… j’ai appelé la seule personne au monde avec laquelle je pouvais discuter de cela : ma tante, devenue vieille mais encore vive et sincèrement attachée à moi. Je lui racontais le livre, mon enfance, les souvenirs, ce que je ressentais. Elle m’a écoutée en silence mais que dire dans ces circonstances ? Elle était désolée de ne pas avoir mesuré la situation, mais aurait-elle pu faire quelque chose ? Il faut plus qu’un désintéressement affectif, fut-il total, pour retirer un enfant à sa mère. Je n’étais pas victime de violences, ni même de négligences, alors, à l’époque…

Je me suis sentie nauséeuse pendant quelques jours et puis, la vie a repris le dessus. J’ai réussi à avancer, à cheminer dans mes souvenirs. A me rappeler celle que j’étais devenue, grâce ou à cause de cette histoire. J’ai compris certaines de mes défiances, de mes doutes, de mes peurs. D’un certain regard, ce livre m’a rendue plus forte. Il m’a rendu mon ombre.

myriam