Destination : 372 , Ô vieillesse amie !


Marcel.le

Du haut de ses quatre-vingt-six ans, Marcel avait toujours bon pied, bon œil. Enfin, relativement parlant. Parce qu’avec sa canne, il mettait un peu plus de temps pour aller, chaque matin, prendre son café au bistrot du bout de la rue. Mais il y allait quand même, été comme hiver ! Il n’allait quand même changer ses habitudes à son âge, non ? La seule entorse à laquelle il avait consenti était d’avancer son départ de dix minutes avant midi, pour être à l’heure à déjeuner. Parce que sa femme, Marcelle, elle posait la soupière sur la table à midi pétantes, hiver comme été ! Et comme Marcel détestait la soupe tiède…

Au bistrot, Marcel retrouvait ses copains, ceux qui restaient. Parce que quand même, ce qui n’est pas très marrant en vieillissant, c’est de perdre les gens autour de soi. Faut pas se mentir, hein. Il restait encore le Jeannot et Henri mais, René, Robert, Jacques et Raymond avait passé l’arme à gauche. Voilà, c’était comme ça.

Marcel était toujours là, pourtant, il n’aurait jamais parié un euro ou même un franc là-dessus ! Avec tous les apéros qu’il s’était envoyé, et les clopes qu’il avait fumées dans sa vie ! Un paquet et demi par jours, depuis le service militaire à 21 ans, jusqu’à son départ à la retraite, quelque quarante ans plus tard ! Après il avait diminué, parce que Marcelle, elle ne supportait pas qu’il fume à la maison. Maintenant, il fumait deux ou trois blondes, le matin, avec les copains, au café. Et puis basta, c’était fini pour la journée !

Du coup, il restait Roger et Pierrot. Avec Alain, le petit jeune de75 ans, ils étaient pile quatre pour la belote. Une partie en trois manches de mille points. On parlait en même temps de la météo, des enfants, de la politique, des petits-enfants, des faits divers, des arrière-petits-enfants. Et des femmes aussi, un peu encore. La sienne, et celles des autres. Comme avant, quoi ! Ça occupait la matinée.

Après le repas de midi, Marcel regardait la météo. Il débarrassait la table pendant que Marcelle faisait la vaisselle puis ils s’installaient tous les deux au salon. Marcel faisait une petite sieste, allongé sur le canapé, tandis que Marcelle lisait un livre, ou tricotait un ouvrage, ça dépendait de la saison. Ensuite, ils aimaient bien aller se promener ou faire une partie de scrabble, quand il pleuvait. Ils en profitaient pour se chamailler, souvent parce que l’un ou l’autre allait trop lentement (ce qui était tout autant valable pour le scrabble que pour la balade, mais inversement).

A l’heure du goûter, Emilie, leur petite-fille, passait avec ses enfants qu’elle avait récupérés à la sortie de l’école. Ils buvaient un verre de lait en mangeant quelques biscuits pendant qu’Emilie aidait sa grand-mère pour le linge ou un peu de ménage.

Après leur départ, la soirée s’enchainait : les émissions tv, le repas à 19h, le journal télévisé puis une émission ou un film.

Les journées passaient, de façon identique, dans un train-train assez rassurant finalement pour Marcel et Marcelle qui appréciaient cette routine. Autrefois, quand ils étaient jeunes, qu’ils venaient tout juste de prendre leur retraite, ils avaient beaucoup voyagé, partout dans le monde. Ils en avaient ramené de fabuleux souvenirs et des photos par milliers, classées dans des albums qu’ils rouvraient parfois, rarement cependant.

Mais aujourd’hui, cela ne leur disait plus rien. Trop de fatigue, trop de tracas… et puis, il fallait bien s’occuper du chat, on ne pouvait pas faire confiance à la voisine pour ça ! Elle aurait été capable de l’oublier et de le laisser crever de soif, la pauvre bête ! Ou même d’en profiter pour farfouiller partout dans la maison, cette mégère…

Pour être honnête, Marcel savait que sa vie n’était ni passionnante, ni particulièrement trépidante. Mais, il s’en foutait et disait « Nom de Dieu, c’est ma vie, et les autres, je les em… »

myriam