Destination : 406 , Para normal


Noël Mystérieux

" Le docteur Bonenfant cherchait dans sa mémoire, répétant à mi-voix : "Un souvenir de Noël ?... Un souvenir de Noël ?..." Et tout à coup, il s'écria :… »

Mon Dieu ! Comment ai-je pu oublier cette histoire invraisemblable ? Il est vrai qu’elle remonte à mes années de jeune médecin… Je venais d’arriver dans ce pays qui m’était alors inconnu et nouveau, je comprenais à grand-peine le patois que parlent les gens d’ici. C’était la veille de Noël, il avait beaucoup neigé les jours précédents, rendant difficile les visites à mes patients. Une accalmie se dessinait enfin et je m’apprêtais à quitter mon office quand une fillette sale et brune, en haillons, s’engouffra dans la pièce.

Je la connaissais, c’était la gamine d’une troupe de bohémiens qui s’étaient réfugiés dans une grange abandonnée, à l’entrée du village, pour y passer l’hiver à l’abri. Les gamins du coin l’avaient surnommées la petite fille aux allumettes, car elle passait chaque jour dans les maisons pour proposer ses précieuses boites en échange d’un peu d’argent ou de nourriture. Elle me demanda, d’un air timide et effrayé, si j’étais bien le docteur, ce que je confirmai. Elle pâlit, je crus qu’elle allait se trouver mal mais elle se reprit et d’une voix tremblante, me supplia de la suivre pour aider sa sœur…

Je pris ma trousse médicale en hâte et je sortis dans la neige, la gamine me tenait la main pour me guider. Nous arrivâmes et je fus stupéfait : une lumière irradiait de la vieille grange, sans que je pus déterminer d’où elle provenait. Je n’eus pas le temps de penser au danger que la fillette m’avait déjà poussé à l’intérieur où le spectacle était encore plus incroyable. La jeune femme était allongée, rayonnant de lumière, mais le plus extraordinaire était que son corps flottait, littéralement, au-dessus de son lit.

Il flottait dans la grange une odeur étrange, à la fois suave et entêtante, d’orange et de cannelle, mais j’étais trop obnubilé par ce que je voyais pour en prendre conscience. Il y avait là toute la communauté, qui semblait partagée entre l’émerveillement et la crainte. La fillette, qui tenait toujours ma main, tremblait à côté de moi. Je ne savais pas ce que ces gens attendaient de moi, ni même si je pouvais ou devais faire quoi que ce soit. Un homme s’avança et me demanda, dans un français parfait, de ramener sa fille auprès des siens.

Je m’avançais vers la jeune femme, toujours en lévitation. Je touchais prudemment sa main, m’attendant à une sensation de chaleur, voire de brûlure. Au contraire, sa peau était fraîche. Voyant que mon geste n’entrainait aucune conséquence funeste, je fis signe à l’homme de venir m’aider. Nous nous plaçâmes chacun d’un côté du corps et, doucement, nous le fîmes descendre vers la couche. Sans opposer franchement de résistance, le mouvement nous demandait tout de même une certaine force. Quand elle fut enfin couchée, la lumière s’intensifia quelques secondes avant de s’éteindre doucement, comme une flamme vacillante. J’examinais la jeune femme : elle allait bien et semblait simplement endormie. Encore sous l’émotion de ce que je venais de vivre, je décidais de rester toute la nuit pour veiller sur elle avec sa famille. J’en avais complètement oublié le repas de fête que m’avait préparé ma brave cuisinière… et le lendemain, quand je rentrai chez moi, j’étais encore si fortement secoué que je ne pus rien avaler. Depuis, il m’est devenu difficile de manger le soir de Noël, « et voilà pourquoi je ne réveillonnerai plus jamais ».

myriam