Destination : 71 , Ailleurs le rimailleur


Arthur le Dur

Arthur le Dur prend son balluchon, décidé à enfin mettre le cap vers… le tour de la terre ! Il doit y aller. Vingt ans qu'il attend ce moment. Plus de temps à perdre. Il claque la porte de sa vieille ferme, laissant sa femme, Mireille la Belle, crottée jusqu'aux genoux, se démener avec les cochons grognons dans la cour. Sa fille Amélie la Chipie joue à saute-mouton avec les vieux chiens de berger plus bons qu'à se vautrer devant le poulailler.
Il n'en peut plus de cette vie. Il s'est fait piéger. Sa future en cloque, son père, Fernand le Fainéant, et Beau-père, Albert le Fier, l'ont mené tout jeunot à la Mairie, puis chez m'sieur le Curé. Et les voilà-t-y pas mariés pour l'éternité ! Un grand costaud comme lui, ça va lui faire de beaux petits, qu'elle pensait la Mimi, folle de lui. Ils n'ont eu qu'Amélie avec des essais en vain, des tests en plus et une insémination en option ! Cette sale gamine leur a fait payer l'acharnement de la Mère à vouloir à tout prix fabriquer des mômes à terme.
Arthur le Dur jette un dernier oeil sur sa fille. Il soupire, fait le dos rond et se met en route en enfonçant ses mains de paysan dans les poches de son vieux jean troué.
Lui qui rêvait de voiture de course, de boxe, de Dakar, d'avion, on lui a fait dire « oui » à cette putain de vie. Beau-papa s'est empressé de lui offrir un lopin de terre et de lui rebattre les oreilles qu'un grand dur comme lui saura faire « des miracles » pour faire pousser le blé sur cette terre fatiguée, s'occuper des bêtes et retaper la vieille ferme laissée presque en ruine par les Ancêtres.
Il crache par terre, remonte ses manches et dit : « Adieu ! » au Père Eloi, le Rabat-joie, qui passe par là. « Où vas-tu, mon fils ? », dit en fronçant les sourcils le Gardien de la Chapelle de la colline qui l'a marié vingt ans plus tôt. Il ajuste son ballot, soulève sa casquette et lui répond d'un rire sec : « Je pars ! » Sans demander son reste, il accélère son pas, déniant ainsi au Père l'occasion de lui faire un dernier sermon.
Au premier carrefour, Arthur le Dur fait du stop et se laisse prendre par un routier, Tarik le Sympathique, en route pour le Maroc. « Va pour l'Afrique ! » lui crie-t-il en grimpant gaiement dans la cabine du camion nomade. En quête de sa liberté, il fixe son regard brillant vers l'avant. Ses pensées glissent sur le macadam, vers de nouvelles terres brunes inconnues, vers de pétillantes aventures en perspective !
Et voilà comment Arthur le Dur, fermier sédentaire malgré lui, a laissé son
coeur emmuré pendant tant d'années prendre son envol … sur un coup de ras-le-bol !

Sabine