Destination : 73 , Chronique d'une fin annoncée.


Chronique d’une mort trop éminente


Ce soir là, au vernissage d’un peintre en vogue dont elle n’avait ni retenu le nom, ni aimé la peinture, la vie lui avait enfin sourit. Elle avait rencontré l’amour, le grand amour.
Hélas son bonheur allait être bien éphémère car elle allait mourir, bientôt ! Trop tôt !

Il épiait chacun de ses gestes, toujours à l’affût d’un sourire, d’un regard qu’elle aurait donné à un autre.
Elle était belle, irrésistiblement belle.
Il était fou d’amour et jaloux, irrémédiablement jaloux.

Elle ne se doutait de rien, il avait su jusqu’à aujourd’hui taire sa jalousie maladive. Elle avait peur de le perdre, elle l’aimait éperdument, elle redoutait de ne plus lui plaire. Alors, elle se faisait chaque jour plus coquette, elle portait un grand soin à se rendre désirable, elle s’évertuait à faire naître en lui le désir.

Il était rongé par le doute, ses journées n’étaient que cauchemar. Il l’imaginait dans d’autres bras. La voir chaque jour plus belle, plus attirante, lui faisait perdre la tête. Ses vieux démons revenaient le hanter, sa tête explosait sous les images, des images de plus en plus nettes, de plus en plus nombreuses, de plus en plus suggestives. Il avait beau essayer de les chasser, elles revenaient l’assaillir inlassablement. Ces visions lui laissaient des migraines épouvantables qu’aucun analgésique n’arrivait à calmer.
Et elle ! toujours si prévenante qui simulait l’inquiétude, qui se montrait plus douce, plus câline. Hypocrisie, traîtrise, perfidie ! Il arriverait bien à la confondre un jour. Surtout, rester calme, ne rien dire, ne rien montrer avant d’être sûr.
Portable, courrier, sacs à mains, il épluchait tout ! Mais rien ! Elle était rusée et bien trop intelligente pour se laisser piéger si facilement. Sa raison vacillait, sans doute ne l’avait-elle épousé que pour son argent.

Elle était inquiète, il semblait fatigué ces temps et ces violents maux de tête, c’était angoissant, il devrait consulter, il fallait qu’elle le décide. Et puis, il semblait se détacher d’elle, il avait l’air absent, sur ses gardes. Elle avait toujours tellement peur de lui déplaire, peur qu’il la quitte. C’était devenu une obsession, elle l’aimait trop et ne supporterait pas de le perdre. Il était sa seule famille. L’avoir rencontré avait été la chance et le bonheur de sa vie. Finies la solitude, les fins de mois difficiles, elle n’en revenait pas encore, qu’il l’aime et lui ait demandé d’être sa femme.
Elle était tombée sous le charme dès les premiers instants. Elle était prête à tout pour le garder, elle soignait son allure car il aimait les belles femmes, elle se montrait prévenante, qu’est ce qui clochait ? Elle sentait un malaise, une distance entre eux et elle se sentait coupable. Elle était si jeune, trop jeune pour lui, peut-être, trop enfant, trop soumise.
Une idée folle germa dans son esprit. Le rendre un peu jaloux, juste ce qu’il faut pour ranimer la flamme vacillante entre eux. Elle redoubla d’efforts dans ses tenues, rentra plus tard, l’air détaché, prétexta des dîners entre amies et finalement prit plaisir au jeu. Une sorte d’excitation s’était emparée d’elle et elle s’amusait de cette situation, de le voir déstabilisé. Elle l’avait toujours connu si sûr de lui, si impérial. Elle se jura néanmoins de ne pas poursuivre trop longtemps, désireuse de retrouver son mari tel qu’elle l’aimait, amant expérimenté, prévenant, attentionné, protecteur, serein, gai, et très amoureux.

Il n’en pouvait plus de cette situation, ses soupçons se renforçaient jour après jour. Elle arrivait plus tard, elle sortait sans lui, portait des tenues nouvelles et avait adopté un style plus sexy qui ne lui laissait plus aucun doute. Ses migraines ne le lâchaient plus, elles étaient accompagnées de fulgurants maux d’estomacs et de spasmes extrêmement douloureux. Son corps était comme martelé, roué de coups, marqué au fer rouge. Les visions le poursuivaient jour et nuit, il souffrait le martyre. La voir si belle, si pleine de vie, si heureuse, l’entendre rire, la regarder vivre le torturaient.
Il se mit à la suivre. Plus rien ne comptait, juste la confondre. Savoir, savoir avec qui elle le trompait, savoir qui la rendait si merveilleusement rayonnante. Il la fila discrètement et il les surprit ! Sa femme en compagnie de ce collègue qu’elle lui avait présenté un soir à la sortie du bureau. Il ne désirait pas qu’elle poursuive son travail, ce n’était pas nécessaire, mais elle avait insisté et voilà le résultat ! Ils déjeunaient à la terrasse d’un café, si proches, si complices, son bras autour de ses épaules nues, il semblait la protéger et elle lui offrait son rire sans retenue, plus aucun doute ! Il était accablé, dans un état second, fou de douleur.

Elle ne savait plus quoi faire. Son petit jeu ne la distrayait plus, elle ne supportait plus de le voir si maussade, si taciturne. Le rendre jaloux n’avait strictement servi à rien. Elle avait bien essayé de lui parler, d’avoir enfin une explication, mais il avait coupé court à toutes discussions. Il avait tant d’ascendant, d’emprise sur elle, elle n’avait pas osé insister. Elle était désemparée et si seule, sa condition d’orpheline lui pesait terriblement, personne à qui se confier.

Heureusement, il y avait Marc. Depuis qu’ils travaillaient ensemble, ils s’étaient rapprochés et avaient sympathisé. Elle se félicitait d’avoir conservé son emploi contre l’avis de son mari, c’était la seule fois où elle lui avait tenu tête mais elle avait besoin de cet espace de liberté , de ce contact avec des jeunes de sa génération, Marc était devenu petit à petit un ami. Aujourd’hui, ils avaient déjeuné à la terrasse d’un café et elle lui avait confié ses soucis. Il avait tenté de la rassurer, mettant l’attitude de son mari sur le compte d’une fatigue passagère. Le monde des affaires était un milieu stressant, il avait peut-être quelques ennuis professionnels qu’il voulait lui épargner. Il lui avait conseillé la patience et avait réussi à la soulager un peu de son inquiétude. Elle avait apprécié ce geste amical et protecteur qu’il avait eu à son égard. Bout en train, il était même parvenu à la détendre et à la faire rire.

Le soleil de midi n’avait pas duré. Ce soir il pleuvait, un bel orage de printemps. Elle n’avait pas de parapluie, Marc se proposa de la raccompagner. Elle le fit entrer pour lui offrir un verre. En fait, elle pensa qu’une visite détendrait peut-être son mari - ils ne voyaient jamais personne - et viendrait casser l’atmosphère lourde qui régnait à la maison.
En effet, celui-ci se montra très courtois, curieux, grand seigneur. Loquace et enjoué, il engagea la conversation avec Marc. Elle était soulagée et reprenait espoir, elle retrouvait l’homme charmant, qu’elle avait épousé quelques mois plus tôt, assez précipitamment, il faut bien l’avouer. Un coup de foudre réciproque ! Il avait bien fallu se rendre à l’évidence. Cela n’arrivait pas que dans les contes de fées.
Les laissant à leurs discussions, ses pensées vagabondèrent. Après leur mariage, elle était venue s’installer dans cette grande maison bourgeoise qu’elle tentait d’apprivoiser. Elle aimait surtout le parc et particulièrement tout au fond du jardin, un charmant petit bosquet de trois arbres sous lesquels son mari avait eu la bonne idée de faire installer un magnifique banc de bois et de fer forgé qui invitait au farniente. C’était en quelque sorte leur repaire d’amoureux. Ils aimaient se retrouver là, tendrement enlacés, pour profiter du soleil printanier. Ces derniers temps, ils avaient abandonné ces tendres moments de retrouvailles. Dommage ! Elle veillerait désormais à renouer avec ce charmant rituel.
Marc prit congé, elle le raccompagna à sa voiture. En rentrant, elle perçut dans le regard de son mari une étrange lueur, juste un flash, pas le temps de comprendre, de s’interroger, il s’avança vers elle, et en un éclair, la lame du couteau se logea droit dans le cœur. La lueur assassine croisa en une fraction de seconde une lueur d’effroi et de stupéfaction.
Il se sentit délivré, apaisé, soulagé. Il ne souffrait plus, il était libéré, il avait fait ce qu’il fallait, le sentiment du devoir accompli. Il n’avait pas eu de chance, toutes des nymphomanes ! Elles avaient bien mérité leur sort, elles ne nuiront plus.

Cette nuit, elle ira rejoindre les trois autres, il faudra qu’il plante le quatrième arbre du petit bosquet.

chrystelyne