Destination : 94 , " "


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Destination 94.

Le visage hébété, le regard vitreux, la bouche grande ouverte laissant pendre une langue épaisse et blanchâtre, et d’où suintait lentement un mince filet de bave, le patient numéro cent de l’Unité Psychiatrique Révolutionnaire numéro douze était solidement attaché au moyen de sangles de contentions sur le lit métallique de la cellule révolutionnaire numéro mille.

L’avant-veille, une seringue avait été plantée dans l’une de ses veines, puis oubliée là. Un caillot de sang coagulé s’était formé autour de la pointe de l’aiguille. Cent n’avait ni mangé ni bu depuis la veille, deux jours peut être. L’Unité Psychiatrique Révolutionnaire semblait totalement déserte.

Les murs et le plafond capitonnés de blanc donnaient à la cellule une allure de cocon presque douillet dans lequel un vers à soie aurait aimé à se recroqueviller. Mais rien pour décorer ces murs nus et froids, pas de fenêtre d’où admirer la cime des arbres éventuels de la cour. Un carrelage blanc recouvrait entièrement le sol. Pas la moindre trace de saleté ou de grain de poussière sur ce sol aseptisé, sur lequel l’œil de Cent aurait pu vagabonder et s’attarder un peu. Aucune odeur, même nauséabonde, ne flottait dans l’atmosphère, aucun goût, pas même celui de la faim ou de la soif, ne venait exciter ses papilles anesthésiées. Aucune pensée ne traversait son esprit embrumé. Rien auquel son cerveau aurait pu se raccrocher afin de redémarrer les rouages rouillés de sa pensée. Son cerveau était totalement engourdi. Il était devenu comme sourd, muet et aveugle. L’abrutissement total, le vide, le néant absolu.

Soudain la porte s’ouvrit. Une infirmière inconnue, maigre et au teint blafard, entra à grandes enjambées dans la cellule. Dans un regain subit de lucidité, Cent se concentra, essayant d’arracher à sa mémoire des bribes de phrase qu’il pourrait crier, hurler comme un fou, un mot ou deux, quelque chose ! L’infirmière se dirigea machinalement vers le patient et, sans lui accorder le moindre regard, dans une parfaite indifférence, retira d’un geste neutre la seringue. Elle se retourna puis s’en alla, refermant silencieusement la porte derrière elle. Cent retomba dans sa torpeur profonde, presque léthargique.

Le visage hébété, le regard vitreux, la bouche grande ouverte laissant pendre une langue épaisse et blanchâtre, et d’où suintait lentement un mince filet de bave, le patient numéro cent de l’Unité Psychiatrique Révolutionnaire numéro douze resta solidement attaché au moyen de sangles de contentions sur le lit métallique de la cellule révolutionnaire numéro mille.

sokha