Destination : 94 , " "


Voyez : je fais le vide.

Voyez : je fais le vide. Je pousse ce qui traîne. Je fais le vide. Je déplace le trop-plein un peu plus loin. Je ferme les yeux, je vide ma tête. J'en mets à gauche, j'en mets à droite, je mets en boîte. Archivées, mes vingt-deux années sous scellés.??

Dix minutes que je suis sur ce banc. Au beau milieu du parc. Pleine d'une nouvelle liberté, d'une toute nouvelle légèreté. J'ai tout jeté. Toi, Toi, Toi, Lui, Elle, et Toi aussi. Et tant de trucs encore qui encrassaient mon crâne. Alors, je reste sur le banc. La tête sous les nuages. Avec une nouvelle conscience de la réalité. Le vide me la rend plus tangible, plus dense, plus solide. Elle est là, présente partout. Elle s'immisce en moi. Pour me réécrire. ?Les sensations de ce monde. Faire le vide a permis cela. Je la sens qui se déverse en moi. Pleine de vie. Pleine de toutes ces choses que je dois réapprendre. Elle envahit peu à peu ?l'espace. Elle installe en mon sein la douce chaleur de l'instant. Elle prend le pas sur le vide, sur l'inconsistant, sur l'immatériel vacant. Elle prend place.??

Réalités plurielles. Je me balance sur la trompe d'un éléphant. Je ne suis personne. Pas plus grande qu'un petit homme, j'ai douze ans. Et je cours vers mes quinze ans. La tête à moitié rasée. Adolescence agitée. C'est alors que pour la deuxième fois j'ai vingt-deux ans. Je soupire, tu respires. Tu viens de t'asseoir sur le banc. Je te vois. Je respire. Le vide prend alors un autre sens. Il est cet espace entre Toi et mon tout nouveau moi. Il a l'arrogance de l'indomptable. Le vide, c'est ce grand saut que je dois faire chaque fois qu'un Tu me plais sans savoir qui Tu es. Ce sont les sourires, la politesse, les maladresses. Ca chute. Ca se casse la gueule. Saut sans élastique. Veux-Tu me tendre la main, s'il te plaît ? Tu me regardes l'air étonné. Aurais-je parlé ? Tu souris. En fait, Tu as plutôt l'air gêné. Oui, j'ai dû parler. "Veux-tu m'aider à combler ce vide entre nos corps ? ". Cette fois, Tu ris. "Mais c'est de la folie ! Comme ça ? Ici ? ". Juste : "Être dans tes bras."?

Je suis donc sur ce banc. Tu es mon tout nouveau Toi. Celui qui viendra ponctuer chaque phrase. Que je vais marteler dans ma tête. Répéter sans cesse. Tu es dans une robe verte. Bouffante aux épaules. Qui descend jusqu’en dessous des genoux. Rien d’affriolant mais un petit quelque chose d’indécent avec ce coton un peu transparent. Tu prends ma main et tu la poses sur ton petit ventre rond qui n’a pas tout perdu de son allure d’enfant. Enfin, nous sommes dans ta chambre. Le chemin n’a pas été bien long. À me regarder toujours en coin avec malice. À remonter ta robe au-dessus de tes genoux quand tu montes des escaliers. Je ne suis pas bien sûr de savoir encore parler.

Deux bières. Tu t’assois jambes écartées sans aucune vulgarité. Tu ris. Dans une telle maîtrise de toi-même. Dans ta belle robe verte. Mon jean me colle à la peau. Sous mon tee-shirt pas de soutien-gorge. Tu ris encore. Les seins nus, je finis ma bière. La balle est dans mon camp. Tu n’as enlevé pour l’instant que tes chaussures. Tu fais à peu près ma taille sans tes talons. Je détache mes cheveux. Ils viennent couvrir mes seins. Je te demande de défaire les cinq derniers boutons de ta robe. Les deux pans se séparent et tombent de part et d’autre de la chaise. Ils découvrent tes cuisses. Et une culotte de coton blanc. Je te choisis comme objet de désir. Tu me dis que tu as vingt ans. Je récite mon alphabet. Je me souviens avoir eu six ans il n’y a pas si longtemps. Au vide a succédé la réalité. Et la réalité est devenue vertige. Et je récite mon alphabet. Ce premier savoir, élément de stabilité. Tu finis de déboutonner ta robe. Cette fois-ci, elle glisse le long de tes bras et tombe pour former un drap vert tout autour de ta chaise.

Tu restes là. Si calme et sereine. La respiration à peine plus forte. Qui de nous deux se lèvera la première ? Tu as fini ta bière. Tu poses la bouteille vide par terre. En te redressant, tu enlèves ta brassière comme on enlève un tee-shirt si bien que tes cheveux sont emportés puis retombent en fouillis sur tes épaules.

Erotisme silencieux. Je regarde la brassière, incapable pendant un instant de relever les yeux. La brassière vient toucher mon tee-shirt. L’idée que ces deux tissus qui ont porté nos seins se rencontrent là, sous mes yeux, dans un froissement de coton et de lycra, m’apaise. Je lève alors les yeux pour te voir, Toi : gracieuse et spontanée. Tu es comme un cadeau pour avoir su faire le vide, pour avoir su repartir de rien. Alors je te regarde. Tes yeux sur moi. Je m’étonne de la couleur de ton œil gauche qui n’est pas tout à fait comme celle du droit. Je m’étonne de la tension de ton cou, de tes épaules si droites, de tes seins si petits.

Tu finis par te lever pour mettre Max Richter. Peut-être un peu fort car ça me prend la tête. Ça me prend mes mots. Ça m’empêche de réfléchir. Tu t’es allongée sur le lit, tu as enlevé ta culotte. Elle est posée sur ta robe verte. C’est comme si ton corps s’était évanoui et que tes habits étaient restée là, sur la chaise. Ce sont eux que je regarde : mon tee-shirt, ton soutien-gorge, ta robe verte, ta culotte blanche. Tu me dis « Viens. ». Et je me lève enfin. A mon tour de déboutonner mon jean. Il me serre. Je le fais descendre sur mes chevilles, puis je fais descendre ma culotte. J’enlève d’un coup baskets, chaussettes, jean et culotte et je viens sur le lit. Je pense une dernière fois à nos vêtements qui se mélangent et tu m’embrasses.

Le vide a pris fin. Enfin. Lorsque allongée sur toi chaque centimètre de ma peau était ?collée à toi.?

Après, allongées sur le côté, je compare la hauteur de nos hanches. C’est un moment de plénitude. Je te suffis et Tu me suffis. Rien à ajouter.

Caroline Brouillard